Quand la science fait la une
Les universitaires ont leur mot à dire
pour contrer le sensationnalisme des médias sur les questions
scientifiques
Lorsque les médias prennent brusquement un virage scientifique
pour traiter, à la faveur d'une crise, des sujets comme
l'effet de serre, la vache folle, le clonage humain, le syndrome
respiratoire aigu ou la grippe aviaire, c'est trop souvent pour
s'engager à pleine vapeur sur l'autoroute du sensationnalisme,
avec les risques de dérapage que cela implique. Les universitaires
ont leur mot à dire pour ramener le train médiatique
sur ses rails lorsqu'il s'emballe, a suggéré le
conférencier Marc-François Bernier, le 6 février,
à un auditoire composé d'étudiants du cours
"Communication des sciences en agriculture", dispensé
par Diane Parent, et de professeurs de la Faculté des
sciences de l'agriculture et de l'alimentation. "Il faut
tout simplement qu'ils soient disponibles pour répondre
aux questions des journalistes."
Le conseil peut paraître simple, presque trop même,
mais il est l'aboutissement d'une longue expérience pratique
et d'une démarche scientifique chez Marc-François
Bernier. Aujourd'hui professeur au Département de communication
de l'Université d'Ottawa, ce diplômé à
la maîtrise et au doctorat de l'Université Laval
a été pendant une dizaine d'années journaliste
au Journal de Québec, où il a couvert divers
secteurs dont la santé et les sciences. Cette rencontre
du troisième type avec la science et son intérêt
pour l'examen critique du travail des journalistes l'ont incité
à disséquer un cas de crise médiatique engendrée
par un événement scientifique - le clonage de la
brebis Dolly - afin de mieux comprendre le comportement des journalistes
et des médias dans leur habitat chaotique naturel.
Hello Dolly!
"Un sujet comme le clonage du premier mammifère
n'est pas simple pour des journalistes qui n'ont pas de formation
scientifique, reconnaît Marc-François Bernier. Malgré
la complexité du sujet, ils doivent travailler vite pour
battre la concurrence. Le résultat est qu'ils ont souvent
tendance à exagérer les conséquences négatives
des événements scientifiques." L'examen de
la couverture que La Presse, Le Devoir, Le Droit
et Le Soleil - des quotidiens "sérieux",
commente-t-il au passage - ont accordée au clonage de
Dolly dans les quatre semaines qui en ont suivi l'annonce montre
que le risque de sensationnalisme atteint un sommet au tout début,
"au moment où le public est le plus intéressé
mais que l'information est rare, qu'il y a obligation de production
mais manque de renseignements, que la demande d'information excède
l'offre", constate-t-il. Le niveau de sensationnalisme diminue
avec le temps, tout comme le nombre d'articles et l'intérêt
des lecteurs.
Dans l'ensemble, 70 % des tous les articles publiés par
les quatre quotidiens sur le clonage de Dolly contenaient plus
d'anticipations inquiétantes que rassurantes. "Le
lecteur raisonnable qui se fait une idée sur la base de
ce qu'il lit a surtout reçu des messages inquiétants
par rapport au clonage, souligne Marc-François Bernier.
Même des quotidiens de qualité versent du côté
du sensationnalisme par le biais des anticipations inquiétantes."
Les normes professionnelles peuvent servir de remparts aux journalistes
qui oublient que leur devoir est d'abord de rapporter la nouvelle
et de la traiter de façon équilibrée et
nuancée, rappelle-t-il. Les universitaires peuvent eux
aussi apporter un antidote au poison du sensationnalisme médiatique
en faisant montre de plus de disponibilité et d'ouverture
face aux journalistes. "Toutefois, considérant l'urgence
de couvrir une nouvelle, la rareté des sources compétentes
qui acceptent de la commenter, le mépris d'une partie
des scientifiques à l'endroit des journalistes et la mission
finale des médias qui est de vendre de la copie, le sensationnalisme
est quasiment inévitable", constate Marc-François
Bernier.
JEAN HAMANN
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