Des mutants au Parlement?
Une réforme du mode de scrutin et l'augmentation
des tiers partis pourraient faire évoluer le rôle
du député québécois
Selon la définition classique, le député
étudie, analyse et vote les projets de lois, il questionne
le gouvernement et son administration sur leurs actes, et il
défend les intérêts de ses électeurs
vis-à-vis de l'administration du gouvernement. Or ce rôle
pourrait évoluer, estime Guy Tremblay, professeur de droit
constitutionnel à l'Université Laval. Une raison
serait l'implantation possible au Québec d'un nouveau
mode de scrutin. Une autre raison serait l'augmentation probable,
à moyen terme, des tiers partis, à la suite d'un
jugement récent de la Cour suprême du Canada.
Le mercredi 12 novembre, Guy Tremblay a donné, à
l'Assemblée nationale du Québec, une conférence
sur l'évolution du rôle du député.
Son exposé s'inscrivait dans le cadre de la deuxième
édition des conférences Jean-Charles-Bonenfant.
Il a mentionné qu'au printemps 2004, l'Assemblée
nationale devrait être saisie d'un projet de réforme
du mode de scrutin. Et tout indique que le mode proposé
sera de type proportionnel mixte compensatoire. "Cette formule,
dit-il, est la plus généralement discutée
et je crois que l'on se dirige dans cette direction." Elle
prévoit que 75 députés continueront à
être élus par une majorité de voix, tandis
que les 50 autres sièges seront attribués à
chaque parti d'après le pourcentage de votes obtenu sur
l'ensemble du territoire.
Il faut rappeler ici que la représentation proportionnelle
vise à corriger une distorsion dans le mode de scrutin
qui prévaut au Québec, le mode dit majoritaire
uninominal à un tour. Ainsi, à l'élection
de 1998, le Parti québécois a remporté la
victoire avec près d'un point de pourcentage de moins
que le Parti libéral du Québec. De plus, un seul
siège était allé à l'Action démocratique
du Québec quoique ce parti ait obtenu 12 % des suffrages.
Une autre formule proposée est la représentation
proportionnelle régionale. "Les députés,
souligne Guy Tremblay, auraient alors plus de chances de faire
adopter des projets de loi ou des amendements aux projets de
loi que le gouvernement n'aurait autrement pas acceptés.
Et ils seraient davantage en mesure de critiquer le gouvernement
et d'exercer un contrôle efficace de son action. Si le
Québec se rabat sur un mode de scrutin mixte, ces conséquences
devraient se faire sentir, quoique moins radicalement."
Vers le multipartisme
En juin dernier, la Cour suprême du Canada, dans un
jugement unanime, a déclaré invalides les dispositions
de la Loi électorale fédérale fixant à
au moins 50 le nombre de candidats que doit présenter
un parti politique désireux d'obtenir le statut de parti
autorisé. Par cette jurisprudence, tous les partis, qu'ils
soient petits, nouveaux, marginaux ou régionaux, pourront
bénéficier des avantages dont jouissent les partis
politiques dominants. Le mois dernier, un projet de loi déposé
à la Chambre des Communes allait dans le même sens.
Il vise à réduire à un seul le nombre de
candidats nécessaires pour obtenir le statut de parti
enregistré. "En conséquence, soutient Guy
Tremblay, le Québec, comme d'ailleurs les autres provinces
et l'État fédéral, est destiné à
voir davantage de partis présenter des candidats ayant
de bonnes chances d'être élus et à voir davantage
de députés représentant des tiers partis
à l'Assemblée nationale."
Dans un contexte de multipartisme, des députés
pourraient accepter le rôle d'officiers chargés,
comme le vérificateur général, de faire
rapport à l'Assemblée nationale. La charge de travail,
elle, irait en augmentant, entre autres pour parvenir au consensus
entre partis d'opposition. Et la discipline de parti deviendrait
moins rigide. "Le modèle de la cohésion obligée
de deux "armées" qui se font face a moins de
pertinence dans une assemblée multipartisane, indique
Guy Tremblay. Divers événements survenus aux Communes
à Ottawa ces dernières années tendent à
le confirmer. Les députés d'un parti qui n'a pas
de chances de prendre le pouvoir à court terme peuvent
marcher en rangs moins serrés."
YVON LAROSE
|