
Entre chiens et nous
Les personnes qui pleurent le décès de leur
animal de compagnie ont besoin d'être soutenues, et non
pas jugées. Mais nous pouvons juger notre époque...
"Un membre de la famille." "Un enfant."
"Mon meilleur ami." C'est en ces termes que près
de 20 % des 200 personnes interrogées par l'étudiante-chercheure
Annique Lavergne, dans le cadre de son doctorat en psychologie,
ont décrit la relation qui les unissait à leur
chat ou à leur chien récemment décédé.
L'exception? "Je ne crois pas, répond Annique Lavergne.
Ces gens ont spontanément écrit ces termes après
avoir coché "Autre" à la question qui
portait sur la perception qu'ils avaient de la relation avec
leur animal. Si ces choix étaient apparus sur la liste
des possibilités à cocher, je crois que 60 % à
70 % des répondants aurait dit que leur animal faisait
partie de la famille."
L'affection démesurée - certains parlent même
d'amour - que certaines personnes vouent à leur animal
de compagnie est révélatrice de notre époque,
estime Annique Lavergne. "Les familles comptent moins d'enfants
et de plus en plus de personnes - des jeunes aussi bien que des
personnes âgées - vivent seules. Les animaux de
compagnie viennent combler un vide, ce besoin d'aimer, de se
sentir utile et responsable envers un autre être vivant.
En plus, les rapports avec un animal de compagnie sont toujours
beaucoup moins compliqués qu'avec une personne"
Deuil véritable
Pas étonnant dans ces conditions que la mort de leur
compagnon à quatre pattes soit vécue comme un drame
par bon nombre de maîtres. "Malgré son apparence
triviale, cette expérience est vécue comme un véritable
deuil et les personnes qui la vivent ont besoin de se faire dire
que c'est normal d'avoir de la peine et qu'elles n'ont pas à
s'excuser de pleurer la mort de leur compagnon." Auteure
de la chronique "Au fond du coeur" du magazine Animal,
Annique Lavergne a vu certains de ses écrits reproduits
dans "L'Envolée", un site Web québécois
(www.envoler.com), qui
a pour mission d'aider les personnes qui vivent le deuil de leur
animal de compagnie. "Depuis, je reçois des courriels
de partout dans le monde qui me viennent de personnes qui cherchent
un peu de soutien et de réconfort pour passer à
travers cette épreuve."
Au Canada, contrairement aux États-Unis, aucun psychologue
ne s'affiche comme spécialiste de la question du deuil
animal, avance Annique Lavergne. Il se peut que certains psychologues
croient que le problème ne soit pas le deuil de l'animal
comme tel, mais la relation quasi humaine entretenue avec la
bête, reconnaît la chercheure. Le fait que la perte
d'un animal de compagnie ne soit pas reconnue comme un véritable
problème rend l'événement encore plus pénible
et traumatisant pour le maître. Les psychologues devraient
faire preuve d'ouverture face à ces personnes."
Quant aux vétérinaires québécois,
ils sont mal préparés à composer avec des
propriétaires qui fondent en larmes en apprenant que leur
animal est décédé. "Les étudiants
en médecine vétérinaire ne reçoivent
aucune formation sur cet aspect de la pratique et ça les
inquiète. Ils ne savent pas quoi dire aux maîtres
et ils ont peur de leurs propres réactions face à
l'euthanasie des animaux", constate la chercheure. À
preuve, plus de 200 étudiants en médecine vétérinaire
sont venus entendre la conférence qu'elle prononçait
sur le sujet à la mi-octobre.
Combler un vide
C'est d'ailleurs en constatant le vide scientifique entourant
la question qu'Annique Lavergne a décidé d'en faire
son sujet d'étude, conjuguant du coup sa formation en
psychologie et sa passion pour les animaux. Après avoir
consacré son mémoire de maîtrise à
la perspective psychanalytique du deuil d'un animal de compagnie,
elle a exploré les déterminants de l'intensité
de ce type de deuil lors de ses études au doctorat, sous
la supervision de Michel Pépin de l'École de psychologie.
"Je voulais savoir s'il y avait moyen de prédire,
à partir des caractéristiques du maître,
si le deuil d'un animal allait être vécu comme un
événement incontournable de la vie ou comme un
drame douloureux et dévastateur.
La thèse, qu'elle a défendue en octobre, montre
que l'intensité du deuil n'est pas une question de genre,
d'âge ou de solitude. C'est, tout bêtement, une question
d'attachement à l'animal. S'ajoutent à cela le
fait de souffrir de problèmes affectifs et émotionnels
ou d'avoir traversé plusieurs événements
négatifs au cours de sa vie. "Ce profil devrait aider
les vétérinaires à mieux identifier quel
maître est à risque de vivre un deuil intense et
conséquemment, leur permettre de mieux gérer le
deuil de leurs clients", avance Annique Lavergne. Les futurs
vétérinaires seront bientôt mieux préparés
à faire face au phénomène du deuil animal
puisque la Faculté de médecine vétérinaire
de Saint-Hyacinthe a invité la chercheure à dispenser
un cours sur la question.
Elle pourra en parler avec d'autant plus de conviction qu'elle
a elle-même vécu la gamme d'émotions qui
accompagne pareille disparition dans les jours qui ont suivi
le décès de son propre chien. D'ailleurs, dans
la dédicace de sa thèse, elle a pris soin de remercier,
après les membres de sa famille, tous les animaux de compagnie
qui ont joué un rôle important dans sa vie. "Ces
derniers ont été non seulement mes compagnons,
mais aussi mes enseignants, me rappelant à quel point
la simplicité peut enrichir la vie."
JEAN HAMANN
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