
Manque de couverture
Dans les médias, les sportives n'ont
pas leur place à côté des boys
Le géant ESPN - qui diffuse en 21 langues dans 180
pays - consacre à peine 2 % de son temps d'antenne aux
sports qui mettent en vedette des femmes. Chez les télédiffuseurs
canadiens, moins de 10 % du temps occupé par les émissions
sportives va au sport féminin. Une analyse des journaux
canadiens publiés entre 1999 et 2001 révèle
que seulement 3 % du cahier des sports traite des athlètes
féminines. Enfin, un relevé de 159 numéros
récents de Sports Illustrated révèle
que ce magazine américain n'a placé des photos
de femmes qu'à 11 reprises en page couverture, dont trois
pour illustrer son numéro spécial annuel sur les
maillots de bain!
De là à prétendre que les médias
sont biaisés, il n'y a qu'un pas que la professeure Guylaine
Demers, du Département d'éducation physique, a
franchi sans hésitation lors d'une conférence prononcée
le 18 juin dans le cadre de l'Université féministe
d'été, organisée par le Groupe de recherche
multidisciplinaire féministe.
Évidemment, l'omniprésence des équipes professionnelles
masculines dans le sport-spectacle contribue largement à
faire pencher la balance de la couverture médiatique vers
les hommes, reconnaît la professeure. Mais ce n'est pas
là toute l'histoire. "Même la couverture des
sports amateurs dans les médias de la région de
Québec est biaisée en faveur des gars", affirme-t-elle.
Guylaine Demers avoue avoir elle-même goûté
à cette couverture sportive à deux vitesses alors
qu'elle était membre de l'équipe de basketball
du Rouge et Or entre 1983 et 1988. "À l'exception
du Fil, les médias parlaient à peine de
nous, même lorsque nous remportions des championnats. Par
contre, lorsque le programme de basket masculin a été
réactivé, les gars ont eu une très bonne
couverture dès le départ, même s'ils ne gagnaient
pas souvent. C'était tellement frappant! Il est arrivé
que des quotidiens consacrent trois-quarts de page à la
défaite de l'équipe masculine et un tout petit
paragraphe à la victoire de l'équipe féminine.
Je n'accepte pas l'excuse des journalistes qui disent que "c'est
ça que le monde veut". Les médias ont la responsabilité
de faire connaître le sport amateur et le sport féminin
à la population."
Des images et des maux
Non seulement la couverture du sport féminin est-elle
rachitique, mais en plus, elle est tendancieuse, déplore
Guylaine Demers. "Les images véhiculées par
les médias qui s'intéressent aux sportives portent
à penser qu'ils ont des normes de féminité
et que les femmes fortes font peur. Le traitement réservé
aux joueuses de tennis Anna Kournikova et à Amélie
Mauresmo le montre bien. On s'attarde davantage au look
des athlètes féminines qu'à leurs performances."
Consciente de l'importance de l'image du corps féminin
comme argument de vente auprès des médias, la Fédération
internationale de volleyball a même adopté un règlement
obligeant le port du short moulant pour les femmes. Lors de certaines
compétitions de volleyball de plage, on oblige même
les gagnantes à porter le bikini lors de la remise des
médailles, signale-t-elle.
Quant au discours des journalistes et commentateurs sportifs,
il est à l'avenant. Des expressions comme "sexy",
"féminines" et "mère de famille"
sont courantes pour décrire les sportives. On s'intéresse
à l'orientation sexuelle des athlètes féminines
comme si les lesbiennes étaient vues comme une menace
au rôle traditionnel des sexes et à l'hégémonie
masculine. "Les médias perpétuent une certaine
image de la femme dans leur couverture des sports", résume
Guylaine Demers.
Selon la professeure, le juste équilibre homme-femme dans
la couverture des événements sportifs devrait refléter
la proportion de chaque sexe parmi les athlètes qui pratiquent
une discipline donnée. "S'il y a 50 % de filles parmi
les athlètes amateurs qui pratiquent le soccer, 50 % des
reportages devraient leur être consacrés. L'objectif
est de valoriser les performances sportives des femmes autant
que celles des hommes. De la même façon que la visibilité
médiatique de Tiger Woods a contribué à
l'essor du golf chez les jeunes Noirs américains, l'existence
de modèles féminins ne pourrait que favoriser la
pratique du sport chez les femmes."
JEAN HAMANN
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