La douleur chronique démasquée
Des chercheurs de la Faculté de médecine
ouvrent la porte à une nouvelle génération
d'analgésiques
Verrons-nous un jour, sur les tablettes des pharmacies, une
superaspirine capable de soulager les personnes souffrant de
douleurs chroniques? Des chercheurs du Centre de recherche Université
Laval-Robert-Giffard viennent de franchir un pas dans cette direction
en élucidant un mécanisme à la base de certaines
maladies neuropathiques. Dans la livraison du 21 août de
la revue Nature, Jeffrey Coull, Dominic Boudreau, Karine
Bachand, Steven Prescott, Francine Nault, Attila Sik, Paul De
Koninck et Yves De Koninck décrivent en détail
les étapes qui enclenchent cette boucle sans fin de souffrances.
Les douleurs neuropathiques sont dues à une lésion
du système nerveux, le plus souvent un nerf, explique
Yves De Koninck. Ces lésions surviennent à la suite
d'accidents ou de maladies comme le diabète, le zona ou
un cancer. Elles sont aussi associées à une proportion
significative de maux de dos. On leur attribue même les
énigmatiques douleurs que les amputés ressentent
dans leur membre fantôme. Les souffrances qu'elles engendrent
démoralisent les patients et leurs médecins parce
qu'elles sont très difficiles à traiter. Les médicaments
prescrits pour les douleurs neuropathiques - des opiacés
comme la morphine - entraînent souvent d'importants effets
secondaires. "Dans les cas graves, indique Yves De Koninck,
les personnes atteintes ne peuvent même pas supporter qu'on
les effleure. Certains patients désespérés
en viennent même au suicide."
Insoutenable caresse
En conditions normales, explique le professeur De Koninck,
les signaux perçus par notre corps génèrent
un influx nerveux transporté par les cellules nerveuses
jusqu'à la moelle épinière et de là,
il est transmis au cerveau où il est décodé.
"Dans le cas de la transmission du signal douloureux, précise-t-il,
il existe un système de portillon au niveau de la moelle
épinière qui détermine si le signal doit
être relayé ou non au cerveau. L'hypersensibilité
des personnes souffrant de douleurs neuropathiques est due à
une inversion du mécanisme de répression de la
transmission du signal douloureux au niveau de la moelle. C'est
pourquoi des stimulations sensorielles qui normalement ne devraient
pas produire de douleur, comme une simple caresse, peuvent se
traduire par une perception de douleur atroce chez les patients
neuropathiques."
Les chercheurs attribuent cette inversion du mécanisme
de contrôle à la perte d'une protéine (KCC2)
de la membrane de certaines cellules nerveuses du portillon.
Cette protéine est responsable du pompage des ions chlorures
vers l'extérieur des cellules nerveuses. Chez les personnes
souffrant de douleurs neuropathiques, cette pompe inverse le
flux normal des ions chlorures de sorte qu'elle excite les neurones
sensoriels de la moelle au lieu de les inhiber.
L'équipe d'Yves De Koninck tente maintenant de restaurer
la synthèse de KCC2 dans les cellules du portillon. "Parce
qu'il s'agit d'un tout nouveau mécanisme, très
différent de ceux identifiés jusqu'à présent,
nos recherches mèneront sans doute au développement
d'une toute nouvelle classe d'analgésiques", souligne
le professeur De Koninck. Bien qu'il soit plus difficile de restaurer
l'action d'une molécule que de la bloquer, le chercheur
estime qu'il n'y a peut-être pas si loin de l'idée
au comprimé. "D'ici trois à cinq ans, dit-il,
nous pourrions avoir quelque chose de prometteur. C'est très
envisageable."
JEAN HAMANN
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