Entre le prêtre et le chamane
Isolés et autonomes, les Innus de la
Basse-Côte-Nord ont créé leur propre religion
Les Mamit Innuat (ou Innus de la Basse-Côte-Nord, de
Mingan à Saint-Augustin) entretenaient jadis des relations
complexes avec la nature et le monde des esprits. Leur conversion
à la religion catholique remonte à plus de 200
ans. Mais elle est incomplète puisqu'ils ont conservé
plusieurs aspects du chamanisme de leurs ancêtres, notamment
les maîtres des animaux et les êtres hybrides. "Les
chasseurs aînés respectent encore les ossements
des animaux, indique Denis Gagnon, étudiant au doctorat
en anthropologie et professeur adjoint au Département
d'anthropologie du Collège universitaire de Saint-Boniface,
au Manitoba. On retrouve des sacs en plastique contenant les
ossements dans les branches des arbres aux alentours des villages."
Denis Gagnon a fait sa soutenance de thèse au mois de
mai dernier. Sa recherche s'intitule "Deux cents ans de
pèlerinages: les Mamit Innuat à Musquaro, Sainte-Anne-de-Beaupré
et Sainte-Anne-d'Unamen-Shipu (1800-2000)". Selon lui, l'isolement
en forêt dans un mode de vie axé sur la chasse au
caribou et la trappe a favorisé chez les Innus de la Basse-Côte-Nord
la création d'une religion qui leur est propre. "Il
s'agit d'un catholicisme privé de ses sacrements, sauf
le baptême, explique Denis Gagnon. Ce catholicisme est
également métissé de rituels chamaniques
impliquant le personnage de sainte Anne. D'ailleurs, plusieurs
aspects du système spirituel développé par
les Mamit Innuat ont été incorporés au catholicisme
en tant qu'outils de guérison par le biais de la dévotion
à sainte Anne. Ces aspects comprennent le contrôle
des maîtres des animaux, la méditation, la maîtrise
de soi et le chant."
Des missionnaires actifs
La conversion des Mamit Innuat au catholicisme remonte au
début du 19e siècle avec l'implantation d'une mission
à Musquaro. De 1800 à 1946, prêtres séculiers,
missionnaires oblats puis missionnaires eudistes enseignent la
base de la religion catholique aux Innus de la région.
Présents de 1844 à 1912, les oblats ont appliqué
des mesures disciplinaires exemplaires destinées à
éradiquer la polygamie, les relations hors mariage et
la survivance des pratiques chamaniques. Ils ont par ailleurs
défendu les Innus face aux politiques assimilatrices du
gouvernement colonial. Ils ont également rédigé
des catéchismes et des livres de prières en langue
innue.
Culte et tradition pèlerine
Ouverte à la nouveauté, la pensée religieuse
des Mamit Innuat a fait une place à la religion catholique,
notamment en intégrant le culte de sainte Anne. Grand-mère
de Jésus, sainte Anne est reconnue pour sa capacité
d'écoute, d'intervention et de guérison. Les Mamit
Innuat ont également intégré la tradition
du pèlerinage annuel vers un endroit consacré à
la sainte. Depuis les années 1970, plusieurs d'entre eux
partent ainsi chaque été pour un long périple
de plus de 1 000 kilomètres qui les conduit au sanctuaire
de Sainte-Anne-de-Beaupré. Toutefois, un sanctuaire local
facilement accessible, consacré à la sainte et
aménagé à Unamen Shipu (La Romaine) au début
des années 1990, attire, pour la neuvaine de juillet,
un nombre grandissant de personnes qui ne peuvent entreprendre
le long voyage en direction de Québec. Aux deux endroits,
les pèlerins prient et demandent des faveurs à
la sainte pour qu'elle agisse comme médiatrice dans le
règlement de problèmes sociaux et de santé
qu'ils ne peuvent résoudre.
Le site d'Unamen Shipu, situé à quelques kilomètres
du village, accueille la moitié de la communauté
locale, environ 500 personnes, pendant une dizaine de jours.
Ce site commence à avoir la réputation d'être
miraculeux. Les pèlerins espèrent une transformation
qualitative de leur vie à travers activités, cérémonies
et rituels. "Cette expérience, soutient Denis Gagnon,
permet de réactiver les valeurs morales de respect dû
aux aînés, de partage et d'entraide, et de contraster
la vie sur la réserve, plutôt difficile, avec un
mode de vie vu comme idéal."
YVON LAROSE
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