
Du fusil au fusain
Sur une période d'environ 70 ans, des
officiers britanniques ont rapporté de Québec des
images aux couleurs de l'empire naissant
Après la Conquête de 1760 et jusqu'aux années
1830, des officiers britanniques possédant un talent artistique
certain ont produit un grand nombre d'esquisses ou d'aquarelles
de la ville et des environs de Québec. Une partie de ces
dessins, une fois acheminés en Angleterre, ont servi à
la confection de gravures. À la fois réalistes
et idéalisantes, voire symboliques, ces images gravées
montrent un souci constant pour la maîtrise des lieux et
la sécurité du nouveau territoire colonial. Elles
traduisent également des préoccupations propres
au développement de la nation anglaise comme le loisir,
l'ordre social et l'expérience esthétique.
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Selon Alain Parent, étudiant au doctorat en géographie,
les gravures montrent Québec et ses environs à
travers le prisme de la métropole britannique. Elles ont
servi de véhicule pour faire passer un message, celui
de l'appropriation de la Nouvelle-France par la Grande-Bretagne.
"Nous sommes dans un rapport territorial très fort
où l'image du lieu devient une forme de pensée
et d'action, explique-t-il. Il faut se mettre dans la peau du
Londonien qui voit ces gravures dans une ambiance fortement anticatholique
et dans le contexte d'une intense rivalité avec la France.
L'observation de ces vues paysagères incite sans doute
à dépasser le stade de la contemplation."
Une période de grands bouleversements
La soutenance de la thèse d'Alain Parent s'est déroulée
le 6 mai dernier. Intitulée "Entre empire et nation:
gravures de la ville de Québec et des environs, 1760-1833",
son étude s'appuie sur un corpus d'une quarantaine de
gravures conservées aux Archives nationales du Canada
à Ottawa. La période couverte en est une de grande
transition pour l'Angleterre. "L'empire et la nation bougent
énormément, indique Alain Parent. Les colonies
américaines acquièrent leur indépendance,
la Grande-Bretagne impériale se tourne ensuite vers l'Orient,
l'Irlande est éventuellement rattachée au Royaume-Uni
et la révolution industrielle bat son plein en Angleterre."
Selon lui, il convenait, dans les circonstances, de donner une
image favorable de la nouvelle colonie afin de renforcer la confiance
des métropolitains en l'empire. Ce que fit notamment James
Pattison Cockburn au 19e siècle. "Peu avant la rébellion
des Patriotes en 1837, ses gravures font voir une ville de Québec
paisible, ce qui n'est pas tout à fait cohérent
avec l'époque, précise Alain Parent. La Chambre
d'assemblée et le gouverneur sont en conflit presque constant.
La gouverne de la colonie cause beaucoup de difficultés."
Une gravure de Cockburn intitulée Le pont de glace
formé entre Québec et la Pointe Lévis en
l'an 1831 illustre cette contradiction. "Sur cette image,
poursuit-il, les classes sociales cohabitent dans une atmosphère
de fête où tout le monde se détend. Une belle
harmonie traverse la gravure, depuis le ciel et son coucher de
soleil jusqu'au groupe de militaires appuyés à
l'arrière-plan par la silhouette de la citadelle."
Des images conquérantes
Une des premières séries étudiées
par Alain Parent est faite d'images conquérantes, fortes,
viriles. C'est notamment le cas de Vue de la cathédrale,
du collège des jésuites et de l'église des
récollets, prise de la porte du gouvernement. "Dans
cette gravure de Richard Short publiée en 1761, un superbe
soleil à l'arrière éclaire la scène,
explique-t-il. On voit des soldats en uniforme à l'entraînement,
des badauds dont des ecclésiastiques, et des bâtiments
catholiques partiellement détruits. La destruction de
la cathédrale fut l'un des hauts faits du siège
de Québec."
Outre Cockburn et Short, Alain Parent a étudié
les gravures d'après Hervey Smyth, James Peachey et George
Bulteel Fisher. Ensemble, ils sont les auteurs de la plupart
des images de Québec diffusées en Grande-Bretagne
à cette époque. Si Short montre la destruction
de la ville, Fisher montre Québec à distance. Smyth
a des accents d'héroïsme et plus colonisateurs tandis
que Fisher et Cockburn exploitent le pittoresque et les rapports
ville-campagne. Tous ont cependant représenté Québec
et ses environs en s'inspirant de ce qui s'enseignait et se faisait
en art en Angleterre. Le réalisme de leurs dessins découle
de la tradition de l'art de la topographie que l'on enseignait
aux militaires. "Ils donnent de Québec des vues générales
sous plusieurs angles, ce qu'on ne voyait pas auparavant, souligne
Alain Parent. L'Angleterre est le premier pays européen
à valoriser nettement le paysage comme mode de représentation,
au point de lui faire une place dans l'art."
YVON LAROSE
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