
Entre l'art et la science, le coeur balance
La réadaptation cardiorespiratoire devrait-elle
reposer sur les preuves, toutes les preuves, rien que les preuves?
Il y a 25 ans, l'exercice physique venait au premier rang
des choses que les médecins recommandaient à leurs
patients de ne pas faire après un accident cardiaque.
Depuis, bien que de nombreuses études aient démontré
les bienfaits de l'activité physique pour les personnes
aux prises avec des problèmes cardiaques ou respiratoires,
beaucoup de médecins tardent encore à emboîter
le pas.
L'ambivalence des médecins entre leur instinct clinique
et les preuves apportées par la recherche était
d'ailleurs au coeur des discussions du 3e Symposium en réadaptation
cardiorespiratoire, qui a réuni à Québec,
du 11 au 13 mai, plus de 600 participants d'une quarantaine de
pays. "En réadaptation cardiorespiratoire comme dans
les autres domaines de la santé, la partie "art",
celle qui consiste à adapter la science aux besoins du
patient qui se trouve devant nous, est fondamentale, fait valoir
Jean Jobin, professeur à la Faculté de médecine
et président du comité organisateur du symposium.
Il faut que nos interventions reposent sur des preuves, mais
il ne faut pas rejeter tout ce qui n'est pas prouvé si
ça fait du bien au patient."
Trop de preuves?
Kathy Berra, de l'École de médecine de Stanford
University, appuie l'idée de la réadaptation basée
sur la preuve, mais cette voie n'est pas simple à suivre.
Environ 3 000 revues de recherches médicales paraissent
chaque mois, ce qui représente des centaines de milliers
d'articles chaque année et, il va sans dire, beaucoup
de lecture pour des médecins déjà débordés.
"Le défi est d'identifier les découvertes
qui apportent véritablement un bénéfice
pour la population et de les mettre en application", soutient-elle.
Selon Jean Jobin, les organisations médicales ont un rôle
important à jouer dans la révision des études
et dans la publication de lignes directrices à l'intention
des médecins. "Malheureusement, comme les comités
chargés de cette tâche sont souvent conservateurs,
les choses changent très lentement", déplore-t-il.
James Spira, du Navy Medical Center à San Diego, estime
pour sa part que la réadaptation basée sur la preuve
limite la partie "art" de la réadaptation. La
recherche est une démonstration grossière de l'efficacité
clinique d'un traitement, a-t-il défendu. Elle teste une
approche standardisée qui fait abstraction des besoins
individuels des patients et qui nie les habiletés spécifiques
du thérapeute. "Par exemple, si une recherche montre
que la condition physique d'un groupe de patients augmente de
15 % grâce à la pratique de la bicyclette stationnaire,
faut-il mettre tous nos patients sur la bicyclette? Que faire
de ceux qui font de l'arthrite dans les genoux et pour qui les
étirements et les exercices en piscine seraient plus profitables?"
Jamais trop tôt
François Maltais, de la Faculté de médecine,
a plaidé en faveur d'une intervention précoce auprès
des personnes souffrant de maladies pulmonaires obstructives
chroniques (MPOC). "Cette maladie compte parmi les premières
cinq causes de mortalité en Amérique du Nord, mais
la communauté médicale s'en soucie peu, déplore-t-il.
Le problème est sous-diagnostiqué et sous-traité,
parce que trop de médecins croient que ça fait
partie du vieillissement normal. Les patients doivent consulter
pendant des années avant que le bon diagnostic ne soit
finalement posé, mais la maladie est souvent très
avancée. Pourtant, si on intervenait plus tôt, on
pourrait améliorer la condition de ces malades."
Jean Jobin déplore que les personnes atteintes de MPOC
soient référées en réadaptation une
fois épuisées toutes les interventions pharmaceutiques
et technologiques. "C'est la même chose en réadaptation
cardiaque. C'est plus simple de prescrire un médicament
de sorte que peu de patients profitent de la réadaptation."
Pourtant, les gestionnaires du système de santé
auraient tout intérêt à promouvoir cette
avenue. "Non seulement la réadaptation cardio-respiratoire
a-t-elle fait ses preuves dans l'amélioration de la qualité
de vie des patients, mais chaque dollar investi dans ce domaine
réduit de 6 $ les besoins en soins de santé des
malades", souligne-t-il.
JEAN HAMANN
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