
Question de présence
Professeure à la Faculté des sciences
infirmières, Mireille Lavoie propose une philosophie renouvelée
du soin palliatif
Naître pour mourir est le lot de chacun d'entre nous.
Mais naître au mourir, se recon-naître en face du
mourir pour accompagner l'être humain, condamné
par la médecine, jusqu'à son ultime échéance
terrestre représente, de son côté, une mission
délicate qui est le lot, elle, d'une poignée de
soignants accaparés journellement par les urgences continuelles
d'un système de santé débordé plus
souvent qu'à son tour.
"Face aux soins des personnes mourantes, le malaise des
soignants est parfois palpable. Si plus rien ne peut être
fait pour guérir la personne en fin de vie que reste-t-il
d'utile à faire? Dans une telle situation, le défi
du soignant est souvent de pénétrer dans la chambre
de la personne mourante, de côtoyer la mort, d'être
témoin de la détresse, d'assumer le regard de l'autre
de sa position de survivant. Ensuite, les soins à prodiguer
ne manquent pas", constate Mireille Lavoie, professeure
à la Faculté des sciences infirmières, qui
vient tout juste de soutenir une thèse portant sur la
philosophie du soin palliatif.
Un processus critique et dialogique
Au lieu d'élaborer son questionnement initial "qu'est-ce
que prendre soin de la personne mourante?" à partir
du matériau empirique de l'expérience des soignants
et des experts, l'infirmière de formation a plutôt
choisi de suivre la voie philosophique. "J'ai tenté
de développer une ontologie du soin de la personne mourante
à partir de concepts aussi essentiels que ceux de mort,
de personne et de soin, affirme-t-elle. Cette thèse est
le résultat d'un processus critique et dialogique, c'est-à-dire
le fruit de dialogues avec les écrits des penseurs qui
nous ont semblé jeter le plus de lumière sur le
chemin difficile et encore relativement inexploré
j'entends ici du point de vue philosophique du soin palliatif."
La pensée dite "existentielle" et la philosophie
d'Emmanuel Lévinas y occupent une place centrale.
Selon l'auteure, une préoccupation fondamentale de cette
thèse vise à établir que l'ontologie du
soin palliatif repose essentiellement sur sa finalité,
c'est-à-dire la personne mourante, un être de chair
doté de raison, de liberté, un être spirituel
qui, jusqu'à la fin, "poursuit son devenir et s'inscrit
dans l'existence". "Devant tant de complexité,
le danger est grand de fragmenter, de réduire la personne
à ce que présentent uniquement, par exemple, les
livres de psychologie, de physiologie et de pathologie, prévient
Mireille Lavoie. C'est pourquoi il faut demeurer aux aguets.
L'abstraction et le morcellement de la personne constituent certainement
un premier pas menant à la déshumanisation du soin."
Ce soin, quelle forme devrait-il prendre pour la personne en
fin de vie? La professeure de la Faculté des sciences
infirmières fait siennes certaines idées du philosophe
Emmanuel Lévinas, dont la notion de responsabilité
vis-à-vis de l'autre, qui exige que l'on entre en relation
avec la personne mourante pour bien prendre soin d'elle tout
en faisant preuve de bonté et de compassion.
"Encore trop peu de soignants sont habilités à
faire face au mourir dans les divers milieux de soin, fait remarquer
Mireille Lavoie. Le soin palliatif fait parfois l'objet d'une
formation optionnelle, laissée à la discrétion
de chacun. Aussi j'espère, par cette thèse et les
publications qui en découleront, inviter les soignants
à accorder encore plus de place à la personne mourante
dont ils prennent ou dont ils prendront soi. J'espère
les inviter à franchir le seuil de ces portes entrebâillées
ou trop souvent closes. J'espère les inciter à
offrir leur présence qui, en soi, représente le
fondement humain du soin de l'autre. "
GABRIEL CÔTÉ
|