
LES PARUTIONS EN BREF
L'odeur de l'argent
La Mort de l'argent. Essai d'anthropologie naïve,
de Denis Blondin, publié récemment par Les Éditions
de la Pleine Lune, n'est pas seulement un essai. C'est aussi
une incantation, un sacrilège. L'argent imprègne
si totalement nos existences qu'il nous empêche de réaliser
qu'il pervertit nos vies de riches autant que celle des pauvres.
Rendre pensable la mort de l'argent, c'est d'abord nous extraire
mentalement de son univers, nous soustraire un instant à
son règne et à sa loi. Au moment où nous
arrivons presque au terme de la mondialisation et commençons
à mesurer l'ampleur du désastre, ce livre propose
de jeter un coup d'oeil au-delà de l'argent pour tenter
d'imaginer quel type de société planétaire
nous pourrions inventer. Plutôt que le regard fragmenté
des spécialistes, c'est un regard global que Denis Blondin
pose sur l'argent, sur sa magie, aussi bien que sur sa sorcellerie.
Son ouvrage ne propose pas une avalanche de chiffres ou de faits,
mais une collection d'idées et de points de vue sur la
société, sur l'être humain, sur la forme
sociale dans laquelle se sont incarnés l'Occident et l'univers
mondialisé qui s'est trouvé placé sous sa
gouverne. Une fois désacralisé, l'argent retrouve
sa vraie place dans notre histoire, soit celle d'une invention
humaine comme n'importe quelle autre, succédant au règne
de la parenté et à celui de la religion. Une invention
qui a connu un incroyable succès, mais qui arrive peut-être
à son terme, parce qu'elle crée plus de problèmes
qu'elle n'en résout. Denis Blondin est anthropologue et
enseigne dans le milieu collégial. Il a mené des
recherches sur l'Amérique latine et sur le Québec,
mais il s'intéresse surtout à la culture occidentale.
Il est l'auteur de deux ouvrages: L'apprentissage du racisme
dans les manuels scolaires et Les Deux Espèces
humaines.
Les Autochtones, l'État et la cogestion
Les traités modernes instituent un partenariat entre
les Autochtones et l'État en vue de la gestion des ressources;
partenariat qui se concrétise dans les expériences
de cogestion des "ressources renouvelables". Le malentendu
commence avec cette dénomination. La nature est-elle une
"ressource" ou un milieu de vie? Est-on gestionnaires
ou seulement gardiens du territoire? Doit-on maximiser le rendement
des ressources ou respecter la relation entre les hommes et la
nature? Toutes ces questions sont au coeur de l'expérience
de cogestion. L'ouvrage de Thierry Rodon, En partenariat avec
l'État. Les expériences de cogestion des Autochtones
du Canada (Les Presses de l'Université Laval), explore
la capacité des autochtones à survivre à
la négociation et au partenariat avec l'État. Assiste-t-on
à une forme d'assimilation et de domination? Se crée-t-il
plutôt un échange entre la vision autochtone et
la vision occidentale de la nature? La cogestion n'est-elle qu'un
grand malentendu? Pour répondre à ces questions,
l'auteur analyse les relations de pouvoir qui se sont établies
dans cinq expériences de cogestion "des ressources"
au Canada: la Convention de la Baie-James et du Nord québécois;
le Beverly and Qarminirjuak Caribou Management Board et la Convention
définitive des Inuvialuit dans les Territoires du Nord-Ouest,
le Wendaban Stewardship Authohrity en Ontario et le Nunavut Wildlife
Management Board. Thierry Rodon est professeur associé
à l'École de politiques publiques et d'administration
de l'Université Carleton à Ottawa. Il est président
du Conseil de gestion de la rivière Moisie et a fondé
Confluences recherche conseil, une firme qui oeuvre dans le domaine
de la gouvernance, de la gestion du territoire et des négociations
territoriales.
Des souverainetés moribondes?
Le recueil Souverainetés en crise, publié
conjointement par Les Presses de l'Université Laval et
L'Harmattan, sous la direction de Josiane Boulad-Ayoub et Luc
Bonneville, est logé à l'enseigne symbolique du
Léviathan et rassemble une réflexion à plusieurs
voix sur le thème de la souveraineté politique
au moment où les phénomènes liés
à la mondialisation accélèrent l'érosion
des pouvoirs de l'État Nation, tels que nous les connaissons
depuis l'époque moderne, en même temps que les sentiments
d'identité et d'appartenance du citoyen envers sa communauté.
L'examen se déroule sur plusieurs registres. Tout un concours
d'approches sont ici convoquées: philosophique, sociologique,
juridique, politique. Une place centrale est donnée aux
voix de la relève qui alternent dynamiquement avec les
exposés de spécialistes plus chevronnés
pour relancer la discussion. Enfin, franchissant les frontières
géographiques, culturelles et sociales, nous entendons
les voix africaines. Ces voix à portée universelle,
de sociologues ou de philosophes, font d'emblée résonner
un ton plus grave: les problèmes auxquels doit faire face
ce douloureux continent et qu'exacerbe le processus de la mondialisation
sont analysés, pendant que se mettent en place de nouvelles
formes de régulation sociale dans une démocratie
et des institutions en pleine mutation. Des textes de Francis
Akindé, Hugues Bonenfant, Luc Bonneville, Josiane Boulad-Ayoub,
Gian Mario Cazzaniga, Jocelyne Couture, Désiré
Didier Danga, Paul Dumouchel, Isabelle Duplessis, Christian Giguère,
Éliana Herrera, Christian Leduc, Dominique Leydet, Ernest-Marie
Mbonda, Bjarne Melkevik, Lazare Marcelin Poamé, Alain
Renaut, Mahamadé Savadogo, William Schabas, Joseph-Yvon
Thériault, Michel Troper et Paule-Monique Vernes.
Les militantes de l'ombre
À partir des années 1930, les mouvements québécois
d'action catholique spécialisée ont constitué
des lieux de formation pour des générations de
jeunes qui se sont initiés aux affaires de la cité,
dessinant de nouvelles formes d'engagement et de citoyenneté.
L'apport des branches féminines de ces associations a
cependant été laissé dans l'ombre. Dans
l'ouvrage Femmes et changement social au Québec - L'apport
de la Jeunesse ouvrière catholique féminine, 1931-1966
(Les Presses de l'Université Laval), Lucie Piché
analyse cette contribution en traçant l'expérience
acquise par les jeunes travailleuses ayant milité au sein
de la jeunesse ouvrière catholique féminine, des
années 1930 au milieu des années 1960. On y voit
évoluer des militantes engagées au nom d'un idéal
chrétien, cherchant de nouvelles voies pour devenir des
citoyennes actives, mais qui se heurtent aussi au poids des modèles
prescrits. L'étude montre comment la pédagogie
du mouvement, que résume la formule "Voir - Juger
- Agir", contribue à dessiner un espace social pour
les jeunes militantes, favorisant l'émergence de nouvelles
pratiques sociales féminines centrées sur l'animation
du milieu, tout en servant progressivement de tremplin à
l'expression de leurs besoins. Au carrefour de l'histoire des
femmes, de celle de la jeunesse, de l'histoire religieuse et
de l'histoire ouvrière, cette étude offre une perspective
originale sur la contribution des femmes des milieux populaires
à la dynamique du changement social au Québec.
L'histoire de ce mouvement devient donc, à sa façon,
un révélateur de l 'évolution de la société
québécoise. Lucie Piché enseigne au Cégep
de Sainte-Foy. Elle est aussi chercheuse associée à
l'Observatoire jeunes et Société de l'Institut
national de la recherche scientifique - Urbanisation, Culture
et Société.
Cartésianisme: un beau voyage au Canada
Avec l'ouvrage Descartes et le Nouveau Monde. Le cheminement
du cartésianisme au Canada, XVIIe - XXe
siècle (Librairie philosophique J. Vrin/Les Presses
de l'Université Laval) de Jean-François de Raymond,
l'Université Laval, qui célèbre cette année
le 340e anniversaire de la fondation du Séminaire de Québec
par Mgr de Laval et le 150e anniversaire de l'octroi de
sa charte par la reine Victoria, nous offre l'occasion d'éclairer
l'identité de la pensée qui se forma en Nouvelle-France,
au Canada et au Québec, du dernier quart du 17e siècle
à nos jours, ouvrant une histoire globale où s'établissent,
avec la construction de ce pays, ses rapports avec l'Europe.
Ce regard cherche à retrouver la dynamique de l'introduction,
généralement polémique, du cartésianisme
au Canada - des débats provoqués par la parution
du Discours de la méthode en 1637 et des Méditations
métaphysiques en 1642, aux commémorations du
tricentenaire du Discours et, à la fin du 20e siècle,
au colloque international Descartes organisé en
1996 par la Faculté de philosophie de l'Université
Laval et au congrès de l'Association des sociétés
de philosophie de langue française qui se tient à
la Sorbonne sur L'Esprit cartésien pour célébrer
le 400e anniversaire de la naissance du philosophe. On approchera
ainsi un mode de la genèse de la pensée du Nouveau
Monde. L'attitude et les conceptions de Descartes et ce que l'on
a désigné comme le cartésianisme, semés
et mûris à partir du dernier tiers du 17e siècle
au Canada par des professeurs de philosophie venant de France
puis par ceux qui furent formés sur place, filtreront
des deux côtés de l'Atlantique dans la philosophie
dominante, la scolastique, qui semblait avoir fourni toute ce
qu'elle pouvait apporter et dont la répétition
des formulations ne suffisait plus à l'interprétation
du monde. Jean-François de Raymond, universitaire et diplomate,
titulaire de plusieurs doctorats dont le doctorat d'État
ès lettres et sciences humaines (Paris I - Sorbonne),
a enseigné dans des universités en France et à
l'étranger et publié une douzaine d'ouvrages de
philosophie et d'histoire. Il a également servi dans plusieurs
ambassades et comme conseiller culturel, scientifique et de coopération
au Consulat général de France à Québec.
Professeur invité à l'Université Laval,
il est membre de la Société royale du Canada.
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