
Le droit autochtone en mutation
Une nouvelle génération de traités
est en émergence au Canada
Depuis une vingtaine d'années, la multiplication des litiges
impliquant des peuples amérindiens aura permis au droit
autochtone canadien de connaître des développements
spectaculaires. Entre autres choses, les tribunaux ont défini
les notions de droits ancestraux, de titre aborigène et
de droits issus de traités. Selon l'avocat Sébastien
Grammond, qui a représenté et conseillé
les peuples autochtones du Québec, l'on assisterait depuis
quelques années à l'émergence d'une nouvelle
génération de traités entre les différents
gouvernements et les communautés autochtones du Canada.
Il en veut pour preuve l'accord conclu en 1999 avec le peuple
nisga'a de Colombie-Britannique et le projet d'entente très
récent relatif à la communauté innue de
la Côte-Nord. Selon lui, le projet d'entente représente
une évolution significative du droit autochtone. "Le
traité, dit-il, n'est plus conçu comme une technique
d'acquisition du territoire au profit de l'État, mais
plutôt comme une technique de gestion dynamique de la coexistence
entre deux peuples. On n'a plus affaire à une transaction
foncière instantanée, mais plutôt à
l'établissement des paramètres d'une relation durable."
Se basant sur la jurisprudence récente, Sébastien
Grammond affirmait, lors d'une conférence qu'il donnait
le 25 avril dernier au pavillon Alphonse-Desjardins, dans le
cadre du colloque "Les droits des autochtones: réalités
et mythes", une activité organisée notamment
par la Faculté de droit et le ministère des Affaires
indiennes et du Nord Canada, qu'il est faux de prétendre
que le projet d'entente avec les Innus remet en question la compétence
provinciale sur les terres publiques. Le conférencier
a souligné par ailleurs une innovation majeure de l'Accord
Nisga'a et du projet d'entente avec les Innus, soit la reconnaissance
de larges pouvoirs (éducation, santé, formation
de la main-d'oeuvre, etc.) qui relèvent d'habitude de
la compétence d'une province. Enfin, à l'instar
des autres traités conclus depuis un quart de siècle,
l'Accord et le projet d'entente assurent la participation des
autochtones à la gestion des ressources naturelles, notamment
dans le cadre du processus d'évaluation environnementale
de projets de développement.
Une question d'identité
Les droits collectifs ancestraux des peuples autochtones
canadiens, premiers occupants du territoire, sont au cur de l'identité
de ces communautés et en définissent la spécificité.
La common law et la Loi constitutionnelle de 1982 constituent
les sources formelles de ces droits. Cela dit, les choses ont
été fort différentes jusqu'à la Proclamation
royale de 1763, au lendemain de la conquête de la Nouvelle-France
par l'Angleterre, comme l'a rappelé André Émond,
professeur agrégé de droit à l'Université
Laurentienne de Sudbury. Au début du 17e siècle,
les Anglais voyaient l'Amérique comme une terre inhabitée,
sur la base, entre autres, d'un certain nomadisme des premiers
occupants et de l'absence apparente de propriétés
privées. Le discours officiel affirmait alors l'inexistence,
pour les peuples autochtones, d'un droit véritable aux
terres ancestrales. Mais comme le rapport démographique
favorisait ces derniers, les Anglais ont négocié
des cessions de terres avec eux. La situation évoluant,
l'Angleterre avait reconnu les droits collectifs des peuples
autochtones bien avant le milieu du 18e siècle. En 1753,
en raison de l'imminence d'un conflit avec la France, la politique
anglaise effectua un retournement majeur dans le but d'améliorer
ses relations avec les autochtones. Londres s'attaqua particulièrement
aux fraudes relatives à la vente de terres tribales. Ces
exactions étaient commises principalement par des spéculateurs
fonciers avides. Désormais, seuls le gouvernement anglais
et ses agents allaient pouvoir négocier avec les premiers
occupants du territoire.
YVON LAROSE
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