
41 M$ pour la recherche océanographique arctique
À bord de leur navire scientifique, les
chercheurs coordonnés par Louis Fortier étudieront
les impacts associés à la fonte de la banquise
À prime abord, ce sont les sommes en jeu qui étourdissent:
27,7 M$ de la Fondation canadienne pour l'innovation pour la
transformation du brise-glace Sir John Franklin en navire scientifique,
10 M$ sur cinq ans du Conseil de recherche en sciences naturelles
et en génie pour étudier l'impact du réchauffement
climatique sur l'océan Arctique et 3 M$ de Pêches
et Océans Canada pour remettre en service et moderniser
le navire. Un total de près de 41 M$, sans conteste l'une
des plus importantes subventions jamais accordées à
un groupe de recherche canadien. Mais, rapidement, l'extraordinaire
odyssée scientifique et humaine qui s'annonce met en sourdine
la valse des millions.
"Évidemment, l'argent est le nerf de la guerre",
reconnaît sans hésiter le capitaine du projet, Louis
Fortier, professeur au Département de biologie et directeur
du groupe de recherche interuniversitaire Québec Océans,
groupe connu jusqu'à récemment sous le vocable
GIROQ. "Mais ce n'est que l'un des ingrédients nécessaires
à la mise en place et à la réalisation des
mégaprogrammes multidisciplinaires que requièrent
les questions soulevées par le réchauffement de
l'Arctique. Les idées, les concepts, la synthèse
des connaissances, la planification des projets scientifiques,
le design des infrastructures et de la logistique, le recrutement
et la supervision des étudiants, la coordination des travaux
en mer, et j'en passe, sont le fruit des efforts concertés
d'une équipe extraordinaire dont je suis, en réalité,
le porte-parole plus que le chef."
Mégaprojet, mégaéquipe
Qui dit mégaprojet dit mégaéquipe. Le
réseau CASES rassemble 45 chercheurs principaux provenant
de 13 universités et de 4 organismes gouvernementaux du
Canada ainsi qu'une trentaine de chercheurs de 9 autres pays,
sans compter les dizaines d'étudiants-chercheurs, les
techniciens et les professionnels de la Garde Côtière
canadienne qui travailleront à leurs côtés.
En août prochain, les membres du réseau mettront
le cap sur l'Arctique pour y étudier l'impact des changements
climatiques sur l'écosystème marin. Selon les prévisions
des modèles atmosphériques, c'est là que
se manifesteront, par la fonte de la mince banquise qui recouvre
l'océan Arctique et ses mers périphériques,
les premiers signes du réchauffement de la planète.
"Les observations les plus récentes montrent que
la banquise arctique est déjà en train de fondre
et, si la tendance observée depuis 30 ans se maintient,
dès 2050, l'océan Arctique pourrait être
complètement libre de glace pendant les mois d'été",
souligne Louis Fortier.
On soupçonne à peine les conséquences écologiques,
économiques et sociales d'un pareil scénario. "L'ours
polaire, le morse et le phoque souffrent déjà de
la réduction de la saison d'englacement dans l'Arctique
de l'Ouest et dans la Baie d'Hudson, soutient le chercheur. À
moyen terme, la survie de ces espèces et de la faune arctique
dans son ensemble est directement menacée par la disparition
de leur habitat glacé." Par effet domino, ce sont
les activités de chasse liées au mode de vie traditionnel
des Inuits qui tombent à l'eau.
Ruée vers le Nord
La cascade d'événements mise en marche par
la disparition de la banquise ne s'arrête pas là.
L'érosion côtière s'accentuera et mettra
en péril les infrastructures côtières dans
tout l'Arctique canadien, poursuit Louis Fortier. L'ouverture
du passage du Nord-Ouest entraînera une intensification
du trafic maritime intercontinental qui va "non seulement
changer la face de l'économie mondiale, mais modifier
en profondeur le paysage industriel de l'Arctique", prédit-il.
"Les ressources halieutiques et les immenses réserves
de carburant fossile du bassin arctique vont devenir exploitables,
ce qui offrira à la fois des défis environnementaux
et des opportunités économiques exceptionnelles
aux habitants du Nord et aux Canadiens en général."
Cet eldorado polaire risque d'entraîner une ruée
vers le Nord et de relancer la question de la souveraineté
canadienne sur ces territoires. "Les marines américaines
et canadiennes étudient déjà les impacts
stratégiques potentiels d'un océan Arctique libre
de glace et nul doute que les autres puissances maritimes font
de même", estime le directeur de Québec Océans.
Pour des raisons géographiques évidentes, le Canada
doit assurer un leadership dans l'effort international de recherche
sur l'Arctique."
Selon Louis Fortier, l'annonce combinée du projet de brise-glace
de recherche et de la première mission scientifique de
CASES montre bien "que le présent gouvernement a
entendu le cri d'alarme des scientifiques et qu'il a compris
l'urgence de reconstruire le leadership historique du Canada
dans l'étude scientifique de l'océan Arctique."
JEAN HAMANN
|