À l'ère de l'information stratégique
Échanger du renseignement de sécurité
entre nations ne va pas sans difficultés ni dilemmes
La semaine précédant le déclenchement
de la guerre en Irak, l'Union européenne a conclu un accord
avec l'OTAN sur l'échange de renseignement de sécurité,
aussi bien de nature civile que militaire. C'est ce qu'a indiqué
Stéphane Lefebvre, analyste au Service canadien du renseignement
de sécurité (SCRS), lors d'un colloque sur le renseignement
et la sécurité internationale. Cette activité,
présentée par le programme Paix et sécurité
internationales de l'Institut québécois des hautes
études internationales, a eu lieu le jeudi 20 mars au
pavillon Charles-De Koninck.
Le conférencier a rappelé les changements amenés
dans le domaine du renseignement par les attentats terroristes
du 11 septembre 2001 aux États-Unis. "La coopération
entre les services de renseignement occidentaux date de longtemps,
dit-il. Ce qui a changé est qu'on se devait de renforcer
la coopération avec certains pays non privilégiés
dans le passé. On a vu des relations beaucoup plus étroites
se développer, par exemple entre les services de renseignement
américains et libyens."
Coopération multilatérale ou bilatérale
L'échange du renseignement au niveau multilatéral
s'appuie sur différents mécanismes de coopération.
L'un des plus solides et des plus renommés est le UK-US
Agreement créé à la fin des années
1940. Cinq pays anglo-saxons en font partie, dont le Canada.
Le Club de Berne, formé en 1971, en est un autre. On y
retrouve les chefs des services de renseignement et de sécurité
des pays membres de l'Union européenne. "Il est beaucoup
plus facile d'avoir une coopération entre différentes
agences de renseignement si elles partagent la même perception
de la menace, ou si elles ont des intérêts communs,
indique Stéphane Lefebvre. Pendant la guerre froide, il
était relativement facile aux agences d'Europe de coopérer
contre l'Union soviétique."
La coopération bilatérale demeure toutefois la
forme préférée d'échange en ce domaine.
Elle se fait souvent en personne dans le cadre de visites, ou
bien par des agents de liaison que l'on envoie travailler dans
l'autre pays. "Souvent, soutient Stéphane Lefebvre,
les services de renseignement vont suppléer à des
relations diplomatiques inexistantes." Les échanges,
eux, portent notamment sur des données brutes, de l'analyse,
ou du partage de ressources à des fins d'enquêtes
conjointes.
Le colonel Petrov
Le Canada, par l'entremise du SCRS, entretient pas moins
de 230 accords de liaison bilatéraux répartis dans
130 pays. "Il faut se rappeler qu'aucun service de renseignement
de sécurité ne peut tout couvrir en même
temps, explique le conférencier. On doit donc faire confiance
à d'autres services sur des sujets particuliers. Par exemple,
Israël, en plus d'échanger des renseignements avec
ses alliés, a des accords avec des pays arabes et musulmans,
notamment la Jordanie." L'affaire du colonel Petrov, un
agent du KGB soviétique, illustre bien cet aspect. Au
milieu des années 1980, ce dernier avait offert ses services
aux Français et remis une masse d'informations stratégiques
à vérifier. Pour passer au travers, la Direction
de la surveillance du territoire avait demandé la collaboration
des États-Unis et de l'Allemagne.
La coopération bilatérale peut parfois être
ardue, difficile et inégale, soutient Stéphane
Lefebvre. Cela peut venir de la différence de perception
de la menace. Parfois, l'on reçoit trop ou l'on ne donne
pas assez en retour. Ou bien on doit collaborer avec des services
de renseignement connus pour enfreindre les droits de la personne
dans leurs pays. "Le renseignement peut aussi être
utilisé à des fins non autorisées, ajoute
le conférencier. Dans les années 1980, l'aviation
israélienne avait détruit un réacteur nucléaire
irakien à partir d'informations fournies à d'autres
fins par la CIA."
YVON LAROSE
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