Dieu, la femme et l'ONU
Faut-il s'inquiéter que des lobbies religieux influencent
les politiques mondiales sur les femmes?
En Égypte, en 1994, lors de la Conférence
internationale sur la population et le développement tenue
au Caire, l'Église catholique a structuré une alliance
avec la tradition musulmane, plus particulièrement avec
la République islamique d'Iran. Cette coalition a pris
position sur le seul lieu où devrait, selon elle, se vivre
la sexualité: à l'intérieur d'un couple
hétérosexuel légalement marié. Un
an plus tard, lors de la Conférence mondiale de l'ONU
sur les femmes de Beijing, en République populaire de
Chine, les États religieux et des organisations non gouvernementales
(ONG) plus conservatrices ont fortement réagi au paragraphe
du Programme d'action qui reconnaissait la pleine autonomie et
la pleine responsabilité des femmes quant à la
gestion de leur sexualité. "Les réserves les
plus importantes et les plus longues ont été particulièrement
formulées par le Saint-Siège, indique Marie-Andrée
Roy. Cela montre à quel point ce qui était en jeu
était le contrôle de la sexualité et de la
reproduction des femmes."
Professeure au Département des sciences religieuses de
l'Université du Québec à Montréal,
Marie-Andrée Roy a participé à une table
ronde, le mardi 18 mars au pavillon Félix-Antoine-Savard.
Cette activité de l'Association des gradués inscrits
en sciences humaines des religions avait pour thème: "Religions
et droits des femmes sur la scène mondiale". "À
l'ONU, explique-t-elle, des lobbies religieux contribuent à
redéfinir des pans entiers des politiques mondiales, notamment
celles qui concernent les femmes."
Un nouvel espace de déploiement
Marie-Andrée Roy termine une recherche sur les quatre
conférences mondiales de l'ONU sur les femmes tenues entre
1994 et 2000. Selon elle, le champ politique international est
devenu, pour la religion, un nouvel espace de déploiement.
"Dans ce cadre, dit-elle, les femmes se retrouvent au cur
des nouvelles transactions religieuses. Et ce sont leurs droits
qui sont en jeu." La chercheure estime que la plupart des
programmes d'action adoptés à l'ONU demeurent porteurs
d'un agenda qui contribue à faire progresser les droits
des femmes. "Mais, ajoute-t-elle, la portée de ces
agendas se trouve réduite dans plusieurs cas parce que
les valeurs religieuses traditionnelles sont placées en
concurrence directe avec les droits universels des femmes."
Jusqu'à présent, une partie des demandes formulées
par les lobbies religieux ont été bloquées
par les États et les ONG plus près des valeurs
féministes, souligne Marie-Andrée Roy. Il n'en
demeure pas moins que l'aile conservatrice présente à
l'ONU s'est trouvée renforcée de l'arrivée
à la Maison-Blanche du républicain George W. Bush.
L'amputation d'une part significative du budget de la Fédération
internationale pour la planification familiale serait, selon
elle, une des conséquences de ce rapprochement.
Des droits menacés?
Pauline Côté, professeure titulaire au Département
de science politique de l'Université Laval, croit pour
sa part que les droits des femmes ne sont pas nécessairement
menacés à moyen ou à long terme. "Il
ne faudrait pas généraliser à partir du
cas de quelques Églises ou religions conservatrices très
médiatisées, soutient-elle. Il ne faut pas non
plus minimiser la capacité des femmes musulmanes à
infléchir et à réinterpréter les
traditions." Selon elle, une influence plus grande du religieux
dans les politiques mondiales ne signifie pas son retour dans
la vie quotidienne, du moins en Occident. "Ailleurs, précise-t-elle,
le religieux alimente une politique de prestige de la part des
dirigeants, soit en réaction à la mondialisation,
comme l'ont démontré de nombreuses proclamations
de la loi islamique, soit en réaction à des crises
identitaires, comme c'est le cas de l'orthodoxie en Russie."
YVON LAROSE
|