LE COURRIER
La présomption d'innocence: un mythe ou une réalité?
"La présomption d'innocence confirme notre foi
en l'humanité: Elle est l'expression de notre croyance
que, jusqu'à preuve contraire, les gens sont honnêtes
et respectueux des lois" (l'ex-juge en chef Brian dickson,
Cour suprême du Canada, Arrêt Oakes, 1990).
Lorsqu'un chef de police révèle lors d'une conférence
de presse que son service possède une preuve inattaquable
contre des personnes, présumément, impliquées
dans un réseau de prostitution juvénile, il se
trouve à enfreindre la présomption d'innocence.
En insinuant que la défense s'avérera impuissante
à présenter une preuve contradictoire, il nuit
de surcroît à la défense pleine et entière
reconnue à un inculpé par la Charte canadienne
des droits et libertés comme un principe de justice fondamentale.
Lorsqu'un quotidien reconduit le lendemain cette prétention
policière et la titre à la une, il contrevient
également à la présomption d'innocence.
La présomption d'innocence a traversé les siècles
et nous a été léguée par le droit
anglo-saxon. Elle est considérée comme la clé
de voûte de notre système de justice pénale.
Elle est devenue une présomption statutaire par son insertion
dans le Code criminel canadien pour être, ultérieurement,
enchâssée à l'article 11 d) de la Charte,
garantissant ainsi à un inculpé une protection
constitutionnelle.
Elle permet à un accusé de conserver toute sa dignité
malgré la déchéance apparente consécutive
à la commission d'une infraction présumée
et de sauvegarder son intégrité jusqu'au prononcé
du verdict. Elle signifie, principalement, que personne ne peut
être déclaré coupable d'un crime tant que
la poursuite n'a pas réussi à en faire la preuve
au delà de tout doute raisonnable.
La DPJ a référé les victimes au Centre de
l'Escale, leur assurant ainsi une protection sociale et un havre
pour refaire leurs forces. Le pouvoir judiciaire a commencé,
de son côté, à leur offrir des abris juridiques
en décrétant le huis clos aux auditions sur cautionnement
et aux enquêtes préliminaires. Ces mesures sons
susceptibles d'être répétées aux procès,
permettant alors aux adolescentes de témoigner dans l'anonymat.
De plus, une disposition du Code criminel prohibe un accusé,
pratiquant l'auto-défense, de procéder au contre-interrogatoire
de sa victime, faisant obstacle à un questionnement vexatoire.
Les victimes peuvent compter sur l'appui de la population dans
la reconstruction de leur équilibre psychique et affectif.
Tout doit être tenté pour les distraire de la nostalgie
de la rue et des groupuscules prédateurs, pour qu'elles
ne deviennent plus jamais des proies vulnérables dans
l'errance nocturne.
Dans la cause de l'ex-journaliste Benoît Proulx, la Cour
d'appel avait rappelé qu'un procès équitable
peut uniquement avoir lieu "dans un environnement raisonnablement
serein". Lorsque la preuve révèle une publicité
préjudiciable pour les accusés ou une hostilité
manifeste à leur endroit, les fins de la justice sont
mieux servies pour un renvoi dans une autre juridiction. Cette
procédure s'applique seulement dans l'hypothèse
où des accusés ont choisi un procès devant
juge et jury. Cet emprunt à l'écologie peut nous
faire réfléchir à la suite des réactions
qui ont suivi la révélation du démantèlement
d'un réseau de prostitution à Québec.
Comme membres de la communauté, nous avons été
naturellement choqués et attristés par ces divulgations
et un vent de spéculation sur des prévenus virtuels
a soufflé sur la ville. Il est vrai que notre droit de
regard sur le déroulement des procédures est tributaire
de notre droit à l'information. Mais ce droit de savoir
est également proportionnel à une curiosité
normale et non malsaine. Selon l'adage, "le crime doit être
jugé dans l'endroit où il a été commis".
Mais pour mériter cette proximité territoriale,
la collectivité doit adopter une attitude responsable
et user de retenue dans l'attente du dévoilement de la
preuve.
La prolifération des transgressions à la présomption
d'innocence nous force à conclure que la présomption
d'innocence, malgré sa reconnaissance constitutionnelle,
est davantage un mythe qu'une réalité. Le législateur
voudra peut-être prendre acte de ces violations à
un principe cardinal de notre système pénal et
désirer les sanctionner en ajoutant une modification à
l'article 6 du Code criminel, laquelle pourrait succinctement
se lire comme suit: "Quiconque contrevient à la présomption
d'innocence se rend passible d'une infraction punissable sur
déclaration sommaire de culpabilité."
JACQUES GAGNÉ
Professeur de droit à la retraite
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