Des cartes marines qui parlent
L'historien Jean Leclerc vient de consacrer une thèse
au pilotage sur le fleuve Saint-Laurent en aval de Québec
Les débuts de la grande aventure du pilotage sur le Saint-Laurent
en aval de Québec remontent au régime français.
En 1730, on établit une première station de pilotage
dans l'estuaire du Saint-Laurent, soit à l'île du
Bic, à 140 milles marins de Québec. Des pilotes
se rendent à cet endroit et montent à bord des
vaisseaux du roi arrivant de France pour éviter que ceux-ci,
au cours de leur trajet vers Québec, ne s'échouent
sur des hauts-fonds, ou ne sombrent après avoir frappé
des récifs. Sous le régime anglais, une plus grande
réglementation encadre ce genre d'activité en ce
qui concerne l'organisation du pilotage, les effectifs et la
formation. Au début du 19e siècle, les pilotes
longent désormais la rive sud du fleuve. Pendant plus
d'un demi-siècle, pilotes et apprentis fonctionnent à
l'intérieur d'une structure qui, en permettant la libre
concurrence, favorise l'exploitation et la misère. Mais
en 1860, une loi abolit la libre concurrence et crée un
monopole réglementé.
Telles sont les grandes lignes de la thèse qu'a soutenue
l'historien Jean Leclerc, le vendredi 17 janvier à l'Université
Laval. "Le Saint-Laurent est un vieil ami", écrit-il
dans l'avant-propos de sa recherche intitulée Les pilotes
du Saint-Laurent et l'organisation du pilotage en aval du havre
de Québec, 1762-1920. Sa thèse constitue l'aboutissement
d'un long et patient travail d'enquête entrepris en 1985,
et qui s'est traduit par la publication de deux ouvrages consacrés
au pilotage sur le fleuve. Selon lui, le pilote a été
et demeure encore aujourd'hui, et par tous les temps, un spécialiste
des conditions locales de la navigation, une sorte de "carte
marine parlante" irremplaçable qui connaît
en détail le lit du fleuve et qui est familier avec les
courants, la direction des vents, les marées et les principaux
chenaux.
Un laisser-faire coûteux
Au début du 19e siècle, l'augmentation du trafic
maritime au port de Québec amène la création
de la Maison de la Trinité de Québec, une importante
structure mise en place par le Parlement du Bas-Canada. À
cette époque, Pointe-au-Père, située à
157 milles marins de Québec, est le lieu d'embarquement
et de débarquement des pilotes. Selon Jean Leclerc, le
régime de libre concurrence institué par la Maison
fut synonyme de chaos. "Les pilotes étaient en nombre
excessif et la Maison n'était pas capable de faire respecter
les limites de la station de pilotage, explique-t-il. Des pilotes
sillonnaient le fleuve et se rendaient jusque dans le golfe à
la rencontre des navires. En vertu de la règle du premier
à bord, celui qui accostait le premier un bateau avait
droit à la préférence de le piloter. Cette
désorganisation du pilotage a causé la noyade de
133 pilotes, apprentis et hommes à gages entre 1815 et
1855."
Créée en 1860 à la suite d'une loi, la "Corporation
des pilotes pour le havre de Québec et au-dessous"
regroupe 250 pilotes. Les réformes entreprises consistent,
entre autres, à remplacer le régime de libre concurrence
par le mode d'affectation à tour de rôle. La Corporation
transporte les pilotes à bord de ses propres goélettes
et distribue les revenus mis en commun entre les membres. Avec
le 20e siècle, on assiste à une présence
grandissante du gouvernement fédéral dans ce secteur
d'activité. En 1960, la Corporation des pilotes du Bas
Saint-Laurent voit le jour. En 1961, la station de pilotage de
Pointe-au-Père est transférée aux Escoumins,
sur la rive nord du fleuve, à 123 milles marins de Québec,
un endroit aux eaux plus profondes et aux meilleures conditions
climatiques.
De nos jours, le pilotage sur le fleuve, de Montréal jusqu'aux
Escoumins, demeure obligatoire. "Malgré la connaissance
que nous avons de lui, le fleuve reste une voie navigable très
difficile et contrastante, indique Jean Leclerc. Les marées
sont changeantes, il y a de la brume en automne et de la glace
en hiver. Cela demande des connaissances vraiment solides du
chenal navigable."
YVON LAROSE
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