17 octobre 2002 |
Un aspect parfois négligé de l'industrialisation
est le déplacement humain sans précédent
qu'elle a suscité au XIXe siècle. Aux prises avec
d'importants problèmes sociaux, la Grande-Bretagne élabore
alors une conception de l'émigration qui tient autant de
visées économiques que d'une utopie humaniste visant
à améliorer le sort de la masse.
Auteur de nombreux ouvrages d'histoire et de géographie,
Serge Courville s'intéresse depuis longtemps au phénomène
de la colonisation. Décidé à lier cette réalité
québécoise avec ses corrélats ailleurs sur
le globe, il a en fait enclenché le travail le plus excitant
de sa vie. Son tempérament de détective aidant,
de même que la consultation de centaines de documents (brochures,
pamphlets, prospectus, récits de voyage, traités
et discours, etc.), une filiation très claire lui est apparue
qui devrait désormais empêcher d'exagérer
l'originalité de l'expérience québécoise.
C'est ce constat et bien d'autres éléments qu'il
expose dans l'ouvrage Immigration, colonisation et propagande,
tout juste paru chez MultiMondes.
Un défrichage intellectuel
Le livre, bien qu'issu d'un intérêt de longue
date, a donné lieu à un travail beaucoup plus innovateur
que prévu. "C'est une vieille histoire, raconte Serge
Courville. Aussitôt que j'ai commencé mes études
de maîtrise je me suis intéressé à
cette question, parce que je voyais des mouvements de population
alors qu'à l'époque, pendant les années 70,
on parlait au Québec d'une société immobile.
J'avais lu d'anciennes brochures incitant à la colonisation,
et comme tout le monde je pensais que l'Église jouait un
rôle majeur là-dedans. De fil en aiguille, j'ai trouvé
au cours de mes recherches des brochures d'Ontario et d'ailleurs
dans le monde anglophone. Vers la fin des années 1990,
un collègue de Cambridge m'a invité à venir
voir ce qu'ils avaient là-bas, où on venait de transférer
la bibliothèque du Commonwealth. J'ai alors eu le projet
d'aller comparer le discours francophone avec celui des anglophones.
Je me suis donc retrouvé avec toutes les brochures de l'empire
britannique, pour découvrir qu'au XIXe siècle, tout
ce beau monde avait le même discours. Devant ce surplus
de matériel, j'ai fait la demande d'une bourse Killam,
pour être dégagé de l'administration et de
l'enseignement."
Plusieurs idées reçues autour de la colonisation
ont tôt fait de voler en éclat : "J'ai réalisé,
dit Serge Courville, qu'on n'avait rien inventé au Québec.
Tout ce qu'on a fait, c'est répéter le discours
britannique, à trente ou quarante ans d'intervalle. Ce
que je découvre, c'est que les Québécois
admirent profondément les Britanniques. Évidemment,
on ne veut pas officiellement soutenir cette admiration, alors
on parle plutôt des Américains, qui servent de paravent.
Au début pourtant, ce sont les Britanniques qui ont formulé
ce qu'on appelle le rêve américain, en voyant la
Terre promise en Amérique, avant de se retourner vers leurs
véritables colonies pour les développer. On a donc
créé des marchés pour les produits anglais
en donnant aux colons les moyens de les acheter. Ainsi, ce libre-échange
n'a de sens qu'une fois fermement lié à une politique
d'immigration. "
Le salut par l'exil
L'abolition de l'esclavage n'est pas étrangère
au manque important de main-d'oeuvre qui force l'économie
marchande à se restructurer profondément. L'immigration
est alors présentée, par le biais de tout un attirail
de propagande, comme un salut. Si l'empire cherche à se
soulager de graves problèmes socioéconomiques, les
colonies en voie d'épanouissement ne demandent pas mieux
que d'accueillir des forces vives. "Ce qui est assez fascinant
dans le cadre du libre-échange de l'époque pas
le nôtre, qui est encore assez amoral , c'est la théorie
qui l'entoure voulant qu'on favorise le bien du plus grand nombre.
Aujourd'hui, lorsqu'on parle des pays sous-développés,
on dit qu'il faut les aider. À l'époque, on disait
des colonies le Tiers-Monde du temps , qu'il fallait
les enrichir. En les rendant capables d'acheter nos produits,
notre économie s'en sentirait automatiquement mieux. L'immigration
devient donc une panacée soutenue par des principes de
moralité publique et économique."
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