10 octobre 2002 |
Kyoto d'accord, mais comment l'appliquer? Voilà comment
pourrait se résumer la position des trois conférenciers
invités à discuter du Protocole de Kyoto, dans le
cadre du débat public "Participe Présent",
organisé le 7 octobre par le Musée de la civilisation,
en collaboration avec l'Université Laval. Même si
les positions du juriste, du biologiste, et du représentant
d'une association patronale différaient sur l'urgence d'appliquer
immédiatement les recommandations du Protocole, tous ont
reconnu qu'il fallait agir pour améliorer la situation
de l'environnement.
"La contrainte est nécessaire. On ne régit
pas une société avec des voeux pieux." Cette
remarque de Maurice Arbour, professeur de droit environnemental
à l'Université Laval, illustre très bien
le passage de la signature de la convention de Rio sur les changements
climatiques en 1992 à la rencontre de Kyoto cinq ans plus
tard. Même si les 186 États signataires à
Rio reconnaissaient un lien entre l'activité humaine et
les modifications du climat, ils n'avaient pas d'obligations précises
à respecter. Par contre, les pays développés
assumaient qu'ils devaient agir en priorité pour réduire
les émissions de gaz à effet de serre (GES) puisque
les accumulations de gaz carbonique sont surtout imputables au
Nord. Selon les documents, il fallait ramener les GES au niveau
de 1990.
Maurice Arbour constate aujourd'hui que l'adoption de mesures
volontaires n'a pas vraiment fonctionné. À preuve,
les GES ont continué d'augmenter plutôt que de baisser.
Selon le juriste, le protocole de Kyoto a au moins le mérite
d'imposer un objectif, celui de baisser de 5,2 % les GES d'ici
2012. Il s'étonne d'ailleurs que certains pays se plaignent
d'un calendrier d'action trop serré, alors qu'ils connaissent
la situation depuis Rio et que le Protocole de Kyoto s'accompagne
d'une série de mesures très libérales, comme
des crédits pour l'exportation d'énergie propre
ou des échanges internationaux pour le droit de polluer.
Une vieille hypothèse
Tous ces arguments ne convainquent pas Michel Cloghesy, dont
le Centre patronal de l'environnement du Québec regroupe
plusieurs entreprises et des associations sectorielles. À
l'entendre, "le Protocole de Kyoto ne repose pas sur une
bonne assise scientifique", car des causes naturelles, comme
les éruptions volcaniques et l'activité solaire,
pourraient expliquer les changements climatiques actuels. Des
propos qui font bondir Claude Villeneuve, biologiste, professeur
en sciences fondamentales et auteur de plusieurs livres sur le
réchauffement de la planète. "L'hypothèse
d'un changement climatique date de 1896!", lance-t-il. Et
de citer plusieurs études qui corroborent l'influence indéniable
de l'activité humaine sur le réchauffement des climats.
Selon lui, les scénarios les plus prudents prévoient
un doublement de la quantité de gaz carbonique dans l'atmosphère
d'ici 2040 par rapport aux volumes en circulation en1850. Cela
pourrait provoquer la disparition des glaciers dans la zone des
Tropiques, comme sur le Kilimandjaro ou dans les Andes.
Michel Cloghesy, tout en se déclarant "pas forcément
contre le Protocole de Kyoto", en craint les conséquences
économiques pour le Canada et le Québec. Les industries
polluantes pourraient s'établir dans des pays comme la
Thaïlande ou l'Inde qui n'ont pas d'objectifs de réduction
de GES à atteindre, mais surtout la compétitivité
des entreprises canadiennes risque de diminuer par rapport à
celle des entreprises américaines, puisque les États-Unis
ne ratifieront pas le Protocole. Au-delà de la querelle
de chiffres sur le coût lié à l'application
de Kyoto, qui varie, selon les différents spécialistes,
de 500 millions de dollars par an à 4,5 milliards de dollars,
Michel Cloghesy s'inquiète de l'absence d'un plan concret
du gouvernement canadien qui répartirait les obligations
de réduction des GES par province.
Une préoccupation que partagent aussi les deux autres conférenciers.
"La décence élémentaire impose d'avoir
un plan du gouvernement pour savoir qui va payer quoi, soutient
Maurice Arbour. Il faut savoir où on s'en va et connaître
les répartitions de GES entre les provinces." Tout
en appelant aussi de ses voeux le dépôt d'un plan
gouvernemental, le biologiste Claude Villeneuve remarque, de son
côté, que le grand problème du Protocole de
Kyoto c'est que les gouvernements continuent, comme au 19ème
siècle, à poursuivre leurs intérêts
territoriaux alors qu'il faudrait adopter une vision réellement
mondiale. Et Michel Cloghesy de citer le cas de l'Arabie Saoudite
qui voulait se voir proposer des compensations monétaires
si ses exportations de pétrole subissaient une baisse après
la ratification de l'accord de Kyoto On semble donc encore bien
loin de la mise en place du développement durable que le
juriste Maurice Arbour appelait de ses voeux à la fin de
la conférence.
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