10 octobre 2002 |
|
Elles ont entre
8 et 11 ans. Elles portent déjà un gilet bedaine
- et souvent un bijou dans leur nombril percé -, un jeans
taille basse - et son inséparable allié, le string
-, du maquillage abondant et des souliers à talon qui
leur donne un déhanchement provocant. Elles ont encore
l'âge de "jouer à la madame", mais elles
y jouent pour vrai. Cette génération d'"ados-naissantes" préoccupe les chercheures en études féministes. "On assiste à un retour en force des stéréotypes sexuels et à l'affirmation de la personnalité basée uniquement sur les apparences. Et tout ça se déroule dans l'indifférence générale", déplorait Pierrette Bouchard, titulaire de la Chaire d'étude Claire-Bonenfant sur la condition des femmes, lors d'une conférence prononcée le 25 septembre, dans le cadre des activités de la Chaire et du Groupe de recherche multidisciplinaire féministe de l'Université. |
Une logique économique
Ce phénomène de sexualisation précoce
des jeunes filles est apparu dans une logique économique
de segmentation des marchés, poursuit Pierrette Bouchard.
"Il ne faut pas y voir une réaction contre le mouvement
féministe. C'est juste un nouveau marché à
exploiter. Sa valeur atteindrait 170 milliards de dollars par
année aux États-Unis seulement. Pour accaparer
ce marché, les entreprises se disputent une clientèle
de plus en plus jeune."
L'intention derrière cette mode est d'inventer des besoins
inutiles pour les 8-11 ans, dans l'espoir de leur fourguer des
produits tout aussi inutiles. Ce groupe d'âge fait l'objet
d'innombrables études de marché, et les magazines
spécialisés, destinés à cette jeune
clientèle, font la promotion de ces produits. Selon une
étude menée par l'étudiante-chercheure Caroline
Caron, plus de 50 % du contenu de ces magazines concerne l'apparence
physique. "Le principal message adressé aux jeunes
lectrices est simple: il faut charmer, plaire et séduire,
résume Pierrette Bouchard. C'est un message dangereux
à un âge où l'on n'a pas encore d'identité
propre et où la pression à la conformité
est grande. Les entreprises utilisent le besoin d'affirmation
des jeunes filles pour leur vendre des produits." Toutes
les modes procèdent de la sorte, reconnaît la chercheure,
mais ce qui est différent ici est le très jeune
âge du groupe cible et sa vulnérabilité.
Girl Power?
Le résultat très apparent de cette mode est
la sexualisation précoce du corps de la jeune fille. Les
Spice Girls, Britney Spears et Christina Aquilera du jour viennent
renforcer ce mouvement. Même le cinéma américain,
avec un film comme American Beauty, contribue à
lever le tabou sur les relations sexuelles entre un homme adulte
et une jeune adolescente, avance Pierrette Bouchard. "Les
filles croient que c'est correct de s'habiller et d'agir comme
si elles avaient plusieurs années de plus. C'est valorisant
parce que ça attire les garçons plus âgés.
Des chercheurs ont écrit que, dans les années 1950,
une jeune fille de 11 ans était perçue comme une
fillette, alors qu'aujourd'hui, elle est une cible sexuelle."
Un autre effet pervers de cette mode est que les jeunes filles
misent sur l'apparence physique pour être valorisées,
pour s'affirmer, ce qui crée une forme de dépendance
envers les produits qu'elles utilisent pour se composer une image.
"La sexualité est affichée comme un contre-pouvoir
féminin, une sorte de Girl Power. La formation
identitaire de la jeune fille est axée sur la sexualisation
précoce de ses rapports avec les garçons. Ça
réduit énormément leur potentiel parce que
le paraître est un pouvoir limité et éphémère.
Je crois que la société ne mesure pas bien ou banalise
les enjeux et les conséquences de cette mode", affirme
la chercheure.
Au cours des prochains mois, Pierrette Bouchard et d'autres chercheures
en études féministes entreprendront des travaux
sur cette thématique de recherche. "Nous en sommes
encore au stade de démarrage, mais nous souhaitons explorer,
entre autres, comment l'éducation à la consommation
pourrait aider les jeunes à développer leur jugement
critique face aux modes et comment on pourrait les conscientiser
à s'affirmer autrement que par les apparences."
|