12 septembre 2002 |
Lundi soir, le hall du Musée de la civilisation avait des
airs d'agora puisqu'on y accueillait un large public qui participait
à un débat organisé conjointement par l'Université
Laval, le quotidien Le Soleil et le Musée, dans
le cadre de la série "Participe présent".
Les quatre invités ont discuté avec passion de cette
question un rien provocante: "Un an après les événements
du 11 septembre, pour ou contre le modèle américain?"
"De quel modèle américain parle-t-on?",
attaque d'emblée Jean-Sébastien Rioux, professeur
au Département de science politique de l'Université
Laval. "S'agit-il de celui d'une des plus vieilles démocraties
constitutionnelle au monde, du pays qui accueille le plus d'immigrants,
de l'économie la plus dynamique au monde?" Un après
les événements tragiques qui ont endeuillé
l'Occident, le titulaire de la Chaire de recherche du Canada en
sécurité internationale considère que les
attentats 11 septembre ont constitué une attaque contre
les valeurs de l'Occident. Par contre, cet événement
représente à ses yeux une occasion unique pour les
États-Unis de fédérer les forces antiterroristes
et de lutter avec les autres pays contre ce fléau.
Pourtant, à l'entendre, l'administration de Georges W.
Bush n'a pas réussi à utiliser à bon escient
le capital politique créé par la commotion des attentats.
Alors que les États-Unis auraient pu profiter de ce moment
historique unique pour tenter de corriger les déséquilibres
sociaux et économiques dans le monde, favoriser les États
de droit, comprendre la sociologie des groupes terroristes, ils
ont préféré nouer des alliances avec des
pays arabes non démocratiques. De plus, ils veulent s'attaquer
à l'Irak alors que, selon Jean-Sébastien Rioux,
le régime intégriste iranien représente un
danger plus imminent puisqu'il appuie le terrorisme international
et abrite les hauts dirigeants d'Al-Qaïda. "Les États-Unis
avaient l'opportunité d'être une force pour le bien,
mais ils ne l'ont pas fait", conclut-t-il.
Entre le bien et le mal
Plus radicale, Marcela Escribano, directrice de la mobilisation
et de la solidarité à Alternatives, juge que les
attentats du 11 septembre découlent directement de la politique
impérialiste du gouvernement américain, souvent
prêt à appuyer les dictatures militaires en Amérique
Latine ou ailleurs. Une analyse que partage le journaliste et
écrivain Gil Courtemanche, grand pourfendeur de cette tendance
très américaine à vouloir toujours imposer
sa culture et son mode de vie au reste du monde. Selon lui, le
11 septembre a transformé en certitude nationale une idéologie
partagée par une minorité, à savoir qu'il
y a les Américains, puis les autres. Pour ce journaliste,
qui a couvert la politique de notre voisin du Sud pendant plus
d'une décennie, les États-Unis souffrent d'un incroyable
complexe de supériorité qui n'aurait que l'empire
chinois ancien comme équivalent. À en croire Gil
Courtemanche, cette vision manichéenne de l'univers amène
le pays à multiplier les actions guerrières, qu'il
s'agisse des 500 000 Vietnamiens tués par le napalm américain
dans les années 1960, des bombardements illégaux
au Cambodge, des invasions aux Philippines ou en Haïti.
Cet amalgame agace visiblement Alain Dubuc, président et
éditeur du quotidien Le Soleil, qui refuse de son
côté de sataniser les Américains et fait remarquer
que les États-Unis font du bien aussi, de temps en temps.
Et de citer l'engagement de ce pays dans les deux guerres mondiales
et au Kosovo.Alain Dubuc tance d'ailleurs l'attitude, selon lui
très hypocrite, des Québécois face à
leur voisin du Sud. Il remarque ainsi que si les citoyens québécois
se montrent très critiques envers la politique étrangère
américaine, ils adoptent par contre très volontiers
le mode de vie à l'américaine, et se prononcent
même pour une intégration économique accrue
avec les États-Unis. Cependant, l'éditeur du Soleil,
comme les autres participants au débat, juge dangereuse
l'ascension du patriotisme primaire en cours dans ce pays, car
il pourrait conduire l'administration Bush à mener une
attaque sur l'Irak. Au fond, comme le remarque Marcela Escribano,
le choix de Georges W. Bush de déclarer la guerre au terrorisme
au lendemain des attentats plutôt que de faire appel à
la solidarité des autres nations, le rapproche de ses ennemis
dont il partagerait le langage fondamentaliste.
|