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6 juin 2002 ![]() |
Malgré la remarquable progression du nombre de filles
qui accèdent à l'éducation supérieure,
il reste encore des progrès à accomplir avant que
l'égalité soit vraiment atteinte. C'est le constat
qui s'est dégagé lors d'un déjeuner causerie
sur le thème de la place des femmes en éducation,
organisé le 30 mai dernier par la Chaire Claire-Bonenfant
sur la condition des femmes. Cette activité était
au programme du Mois de l'Éducation, tenu dans le cadre
des Grandes Fêtes de l'Université.
Lorsque l'historienne Micheline Dumont, professeure émérite
de l'Université de Sherbrooke, décrit les difficultés
des jeunes filles du XIXe siècle à accéder
à l'éducation universitaire, on se dit que les Occidentaux
d'aujourd'hui ont beau jeu de traiter les Talibans de barbares.
C'est en effet au Canada, plus exactement au Nouveau-Brunswick,
en 1849, que pour la première fois, une étudiante
a pu suivre des cours à une faculté de l'éducation.
À condition, toutefois, de porter une burka (pardon, un
voile noir) sur la tête, d'entrer dix minutes après
les autres étudiants en classe, d'en sortir cinq minutes
avant la fin du cours et de ne parler à personne. Les autres
universités nord-américaines n'étaient pas
en peine de mesures vexatoires, certaines interdisant l'entrée
de la bibliothèque aux filles, d'autres refusant de décerner
des doctorats à des étudiantes pourtant compétentes,
ou les obligeant à porter un uniforme pour les distinguer
des "vraies femmes" dans la rue
Le savoir, toujours "masculin"
Ces attitudes discriminatoires s'accompagnaient, bien évidemment,
d'un discours savant à l'effet que la nature du cerveau
féminin ne supportait pas les notions trop abstraites,
ou encore, qu'il ne fallait surtout pas étudier durant
les menstruations. Ces appels à la prudence n'ont toutefois
pas empêché les groupes de femmes de réclamer
le droit à l'instruction dès le milieu du XIXe siècle,
tout en réunissant des fonds pour fonder des collèges
féminins ou en entreprenant des recherches sérieuses
démontrant la vacuité des théories misogynes
de l'époque sur l'éducation.
Aux yeux de Micheline Dumont, les situations difficiles vécues
par les étudiantes dans les dernières décennies
du siècle qui vient de se terminer ne relèvent pas
seulement de l'anecdote. Selon elle, cet état d'esprit
qui a perduré a conditionné une pensée androcentrique,
la femme étant considérée, au mieux, comme
un homme manqué. Elle souligne ainsi que si les étudiantes
sont désormais majoritaires dans la plupart des programmes
universitaires, la situation évolue peu sur le front des
carrières professorales, puisque les femmes forment seulement
26 % de l'effectif professoral dans les universités canadiennes.
La chercheuse souligne donc l'importance des groupes de recherches
féministes pour lutter contre un savoir toujours profondément
masculin.
Des mythes à déconstruire
Pierrette Bouchard, titulaire de la Chaire Claire-Bonenfant
et professeure à la Faculté des sciences de l'éducation,
a pour sa part précisé le rôle important joué
par cette chaire, comme celui d'autres organismes comparables,
dans la participation aux changements sociaux, et ce, à
travers les études sur la condition des femmes. Un mouvement
qui relève, selon Renée Cloutier, professeure à
la Faculté des sciences de l'éducation, de la déconstruction
des mythes reliés aux valeurs patriarcales. Renée
Cloutier a ainsi rassemblé 52 monographies rédigées
par des professeurs ou par le personnel de recherche, ainsi que
90 mémoires ou essais, tous des documents publiés
au sein de la Faculté des sciences de l'éducation
et traitant du sujet "Femme". Les usagers de la Bibliothèque
générale ont d'ailleurs pu découvrir ces
documents, puisqu'ils ont fait l'objet d'une exposition au début
du mois de juin.
En colligeant l'ensemble de ces travaux de recherche, Renée
Cloutier a pu apprécier leur infinie diversité,
ainsi que la volonté de transformation de la condition
des femmes dont ils témoignent. D'objets d'étude,
les femmes deviennent des sujets. Partant du vécu de ces
dernières, les chercheuses féministes s'assurent
que ces travaux contribuent aux changements sociaux et collectifs
et leurs documents prennent parfois à cet égard
l'allure de guides d'intervention. La conférencière
a cité quelques ouvrages phares, comme ces Critiques
féministes des disciplines dirigées par Roberta
Mura, professeure en sciences de l'éducation, ou les recherches
menées par Hélène Lee-Gosselin, professeure
de management, pour prendre en compte la sphère de production
domestique et l'éducation des enfants dans les familles,
dans les trajectoires de carrière au féminin. Lançant
un vibrant plaidoyer en faveur d'un système d'enseignement
public qui a permis aux filles de se tailler enfin une place en
éducation, Renée Cloutier a également souligné
l'importance du support institutionnel de l'Université
Laval pour faciliter la publication des résultats des recherches
effectuées par des femmes.
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