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6 juin 2002 ![]() |
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Au sein de la communauté
universitaire, il existe un groupe d'hommes - et de quelques
rares femmes - dont l'âge varie de la vieille vingtaine
à la jeune soixantaine, qui sont possédés
par le démon du midi. Pour rien au monde ils ne rateraient
leur rendez-vous impromptu, du lundi au vendredi, à l'heure
du lunch, près de la "sortie des athlètes"
du PEPS. Midi sonnant, ils s'étirent lascivement, à
hue et à dia, en attendant Dieu sait quoi. Tout à
coup, sans raison apparente, comme mues par une force occulte,
les troupes s'ordonnent et se mettent en mouvement. Voilà
les coureurs du midi partis pour une autre sortie de 10 à
15 km. |
Photo Marc Robitaille |
Effet d'entraînement
Quiconque a déjà croisé ces coureurs
avant, pendant ou après leur sortie - et même sous
la douche! - aura noté qu'un très dense nuage de
paroles suit la meute partout où elle se déplace.
"On parle de tout et de rien, des courses qu'on a faites
et de celles qu'on prépare, de l'actualité ou de
sports, raconte l'un des volubiles vétérans du
groupe, Jean-Claude St-Pierre, de la Faculté des lettres.
Chacun devient la risée des autres à un moment
ou à un autre. Le plus souvent, on placote des choses
courantes de la vie, mais, à l'occasion, il arrive qu'un
gars parle de ses problèmes personnels."
Jean-Arthur Fradette, du Département des sciences géomatiques,
fait partie du groupe depuis bientôt 30 ans. "Courir
est une activité exigeante et très difficile. Le
fait d'être avec des amis nous aide. Après quelques
minutes, par effet d'entraînement, on oublie que c'est
dur." Le vétéran coureur a connu les années
d'or de la course à pied qui ont suivi les Jeux Olympiques
de Montréal et la période de vaches maigres qui
sévit depuis une bonne décennie. "Nous sommes
une espèce en voie de disparition, reconnaît-il.
Il n'y a pas beaucoup de relève. Plusieurs des coureurs
qui étaient là au début ont ralenti à
cause des blessures ou bien ils sont partis à la retraite."
Malgré tout, la confrérie maintient le contact
grâce à des expéditions de pêche et
à un petit-déjeuner mensuel auquel une quinzaine
de personnes participent. Lorsque l'un d'entre eux part à
la retraite, le professeur de littérature Aurélien
Boivin, un ancien membre du groupe, compose même un poème
relatant les moments glorieux ou drôles de la carrière
du héros du jour.
À 44 ans, Adolfo Foriero fait partie de la rare relève.
Lorsqu'il s'est joint au groupe en 1999, il faisait osciller
la balance à 105 kilos. Mais - eh non! - il ne fumait
pas. Le rondelet professeur du Département de génie
civil a vu ses graisses fondre sous le soleil du midi. À
mesure que son poids baissait et que son kilométrage hebdomadaire
augmentait, ses performances en compétition se sont améliorées,
contrairement aux autres coureurs du groupe, qui luttent vaillamment
contre l'inexorable usure du temps pour maintenir leurs acquis.
Conséquence: trop rapide pour le groupe, il court seul
pratiquement un jour sur deux. Aujourd'hui, à 66 kilos,
il vient de compléter un cinquième marathon, dans
un temps record personnel. Heureux? Oui et non. "Je suis
content de mes résultats en compétition, mais je
m'ennuie du temps où je courais juste pour le fun
avec les gars. Les sorties du midi, c'est quelque chose de très
social."
Jouer ensemble
"À chaque fois que j'arrive au PEPS le midi et
que je croise les coureurs sur leur départ, je suis toujours
émerveillé de voir la camaraderie qui règne
dans ce groupe si lié et pourtant, dans le quotidien du
travail, si diversifié", note un autre habitué
du PEPS, Jean Arsenault, du Service des ressources humaines.
"Au-delà des différences, nous pouvons communiquer
parce que nous partageons une passion, nous avons un langage
commun: la course", explique Marcel Monette, directeur du
Département des fondements et pratiques en éducation.
"Nous sommes une minorité, nous sommes fiers de l'être,
et nous sentons, probablement inconsciemment, le besoin de nous
serrer les coudes, d'être ensemble."
Cette amitié entre coureurs, forgée dans le plaisir
et l'effort, trouve son équivalent à l'intérieur
du PEPS, dans les gymnases et au stade couvert, où des
dizaines d'employés des quatre coins du campus se donnent
rendez-vous chaque jour. Lorsqu'ils se rencontrent dans ce grand
terrain de jeu, que ce soit pour courir ou pour une partie de
badminton, de volleyball, ou de tennis, tous ces sportifs du
midi - même les plus brillants intellectuels - redécouvrent,
pendant une petite heure qui tient une place énorme dans
leur vie, le bonheur naïf de l'enfant qui joue avec ses
amis.
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