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28 février 2002 ![]() |
ÉTHIQUE EN RECHERCHE : UNE PROMESSE S'IL VOUS PLAÎT
Messieurs les candidats au rectorat, qui nous fera la petite promesse
de nettoyer au moins un petit peu, et rapidement, le si inoffensif
contentieux qui se développe doucement autour d'un aspect
de la question de l'éthique en recherche?
Il y a quelques mois, en effet, la Faculté des études
supérieures a décrété que les nouveaux
arrivants aux études graduées devaient signer une
déclaration de conformité éthique. En fait,
il s'agit d'un formulaire de 13/14 pages et l'étudiant
doit attendre quelques semaines qu'un comité - l'Université
Laval est renommée pour sa solution comité -, lui
donne le feu vert. Le contentieux qui se développe porte
en premier lieu sur l'existence de cette procédure supplémentaire
et sa lourdeur évidente (voir L'Exemplaire du 20
février). D'autant plus lourde que la démarche imposée
remet entre les mains du comité d'éthique le soin
de revoir le projet de recherche de l'étudiant et d'en
évaluer, en même temps que les incidences éthiques,
la pertinence scientifique. Cette opération paraît
pour le moins hasardeuse compte tenu des compétences inévitablement
limitées parce que spécialisées des membres
dudit comité. Comment pourront-ils rapidement se prononcer
mieux que le directeur de recherche sur le caractère scientifique
du projet?
Mais il y a un deuxième niveau de profondeur à la
question: l'exigence éthique qui est posée traite
les projets d'entrevues d'adultes consentants, comme s'il s'agissait
de les engager à se soumettre à des expériences
biochimiques en laboratoire ou à laisser espionner leurs
comportements privés, ou comme s'ils étaient des
mineurs pour lesquels il faut obtenir le consentement des tuteurs.
Avant les nouvelles exigences, plusieurs chercheurs avait pris
l'habitude de recommander à leurs étudiants de promettre
l'anonymat à leurs interviewés (dans les rapports
de recherche, mémoires et thèses); cela facilite
l'obtention de certaines entrevues, paraît-il. (Sans compter
que cela enlève toute prise à d'éventuelles
contestations pour propos mal compris ou mal utilisés!)
Mais si cette pratique peut paraître respectueuse dans un
contexte de "rectitude politique", faire de bonne volonté
obligation et en demander encore plus commence à se révéler
contre-productif. En effet, en forçant le jeune chercheur
à insister auprès de ses interlocuteurs adultes
et bienveillants pour qu'ils prennent connaissance par écrit
et dans le détail de son projet de recherche et pour qu'ils
signent un contrat attestant de leur consentement à l'usage
ultérieur de ce qu'ils vont dire, l'Université
envoie le message à ces personnes que ses étudiants
gradués et même leurs directeurs de recherche ne
sont peut-être pas fiables, peut-être pas responsables,
peut-être pas bien intentionnés. Pire encore, cette
insistance peut aussi être interprétée par
les interviewés potentiels comme une façon de se
prémunir contre leurs éventuelles tentations, stimulées
par un contexte d'avidité, de poursuivre en justice l'Université
et ses membres pour abus de pouvoir quelconque.
Si c'est là la logique sous-jacente aux nouvelles exigences
éthiques, et elle paraît telle, il ne faudra donc
pas se surprendre que bientôt le jeune chercheur, tout comme
ses aînés d'ailleurs , soit obligé de: promettre
de ne pas interpréter ce qu'on lui raconte autrement que
ce que la personne en pense elle-même; promettre de payer
un cachet; promettre de partager des droits d'auteur.
Il importe au contraire que l'Université Laval s'éloigne
de cette pente malsaine et souligne au contraire concrètement
qu'il suffit que les démarches de recherche auprès
d'adultes consentants comme source première de témoignages,
d'opinions et d'histoires de vie, soient faites à visage
découvert de la part du chercheur, sinon en public, et
dans un contexte de collaboration financièrement désintéressée
de la part des interviewés. Ce qui est d'ailleurs déjà
la pratique.
C'est pourquoi la procédure qui a été décrétée
et qui s'applique sans discernement à ces situations-là
a un tel caractère d'irritant moral pour le chercheur comme
pour ses interlocuteurs, sans oublier son caractère bureaucratique.
On voit donc le mot d'ordre se répandre, chez les "vieux"
profs, de conseiller aux nouveaux étudiants de formuler
des projets de recherche qui font appel uniquement à des
documents écrits, des sources mortes et de seconde main,
pour contourner l'obstacle. En attendant que quelqu'un se réveille
et corrige cet excès, minuscule et si bien intentionné.
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