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28 février 2002 ![]() |
Des lois sur le divorce favorables aux femmes conduisent les hommes
mariés à travailler davantage d'heures et à
transférer plus d'argent à leur épouse! Dans
les régions où il y a moins de femmes que d'hommes,
les femmes consacrent moins d'heures au travail à l'extérieur
du foyer et leur conjoint leur remet une plus grande part des
revenus familiaux! Voilà les résultats étonnants
et intrigants auxquels parviennent trois économistes grâce
à un modèle qui leur permet de percer la boîte
noire de l'obscure règle de partage qui prévaut
au sein des ménages.
Bernard Fortin et Guy Lacroix, professeurs au Département
d'économique et membres du Centre interuniversitaire de
recherche sur les politiques économiques et l'emploi, et
leur collègue Pierre-André Chiappori, de l'Université
de Chicago, livrent les détails de leur modèle dans
le numéro de février du Journal of Political
Economy. Leur travail risque de connaître passablement
d'écho puisque cette publication, qui accepte moins de
10 % des publications qui lui sont soumises, est l'une des plus
prestigieuses du domaine de l'économique.
Inspiré du modèle des jeux coopératifs de
John Forbes Nash - prix Nobel d'économique en 1994 (dont
le film Un homme d'exception relate la vie), le modèle
des trois économistes illustre comment le pouvoir de négociation
de chaque conjoint influence les comportements reliés au
travail et au partage des revenus au sein du couple. "Il
n'existe pas de données qui permettent de dégager
comment les couples partagent la prestation de travail et les
revenus familiaux, explique Bernard Fortin. La beauté de
notre modèle est qu'il permet de récupérer
cette règle de partage même si on ne l'observe pas
directement."
La balance du pouvoir
Les chercheurs ont examiné deux facteurs qui peuvent
infléchir la balance du pouvoir dans la tendre lutte de
pouvoir que se livrent les époux: les lois sur le divorce,
qui dictent certaines règles économiques advenant
rupture (partage des biens et des revenus, prélèvement
automatique des pensions alimentaires) et la disponibilité
de conjoints potentiels, estimée par le rapport des sexes
dans leur milieu (ex. nombre d'hommes par 100 personnes du même
groupe d'âge et de race, dans une région donnée).
Les chercheurs ont testé leur modèle en utilisant
des données américaines portant sur quelque 1 600
ménages (revenus et travail), dans lesquels les conjoints,
âgés entre 30 et 60 ans, occupaient tous deux un
emploi. Ils ont établi, pour chaque État, un indice
des lois sur le divorce favorables à la femme (variant
de 1 à 4) ainsi que le rapport des sexes. Leurs analyses
montrent que le pouvoir de négociation de chaque conjoint
se reflète sur le nombre d'heures travaillées et
sur le partage des revenus. Ainsi, une hausse de 1 % du pourcentage
d'hommes dans la population - ce qui fait de la femme le sexe
rare - conduit les hommes à transférer annuellement
2 163 $ de plus à leur conjointe et à travailler
45 heures de plus par an (réduction de 18 heures chez les
femmes). Par ailleurs, un gain d'un point dans l'indice des lois
du divorce amène les hommes à travailler 81 heures
de plus par an (contre une réduction de 46 heures pour
les femmes) et à transférer 4 310 $ de plus à
leur conjointe.
Ces résultats montrent que le modèle unitaire ou
homogène (mise en commun des ressources) ne correspond
pas à la réalité des ménages, signale
Bernard Fortin. "C'est un élément dont il faut
tenir compte lors de l'adoption de politiques sociales, insiste-t-il.
Par exemple, l'émission du chèque d'allocation familiale
au nom de la mère, plutôt qu'au nom du père,
aura une incidence sur la somme qui sera effectivement consacrée
aux enfants. Notre modèle pourrait servir à prédire
l'incidence qu'auraient certaines mesures législatives,
qui modifient le pouvoir de négociation dans le couple,
sur les heures travaillées et sur le partage des revenus
dans le ménage."
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