28 février 2002 |
Les détracteurs du cinéma québécois
ont l'habitude de se gausser des stéréotypes qui
traverseraient selon eux la filmographie d'ici, au moins depuis
les années cinquante. Des dialogues d'une banalité
affligeante, des personnages désaxés et perdus,
des histoires se terminant toujours mal, voilà quelques-uns
des clichés colportés à propos des oeuvres
des cinéastes québécois. Se gardant bien
de juger la qualité des productions locales, Christian
Poirier a voulu aborder cette question d'un oeil neuf, en s'interrogeant
sur l'image identitaire colportée par le cinéma.
Étudiant en science politique, il a bâti sa thèse
de doctorat autour de 186 films québécois, thèse
dont il présentait récemment un résumé
lors des midis-causerie du Centre d'études sur la langue,
les arts et les traditions populaires (CÉLAT).
Contrairement à bien des spécialistes "ès
identité", Christian Poirier n'a pas limité
son champ d'études aux documentaires ou aux films à
tendance sociale. Il a aussi visionné nombre d'oeuvres
jugées commerciales, comme Valérie ou la
trilogie des Boys, tout en s'intéressant aux regards
que portent les cinéastes sur leurs propres oeuvres dans
les revues de cinéma. De cette plongée dans plusieurs
dizaines de kilomètres de pellicule, il ressort avec la
certitude que le cinéma québécois ne constitue
pas un bloc monolithique. En fait, selon lui, deux visions du
monde y coexistent depuis quelques décennies.
Les deux récits
Le chercheur a ainsi identifié deux types de récit
qui ont traversé la filmographie québécoise,
des années quarante à nos jours. S'il qualifie le
premier de récit de l'empêchement, particulièrement
populaire durant la Révolution tranquille et la fin des
années 1970, le second relève selon lui du récit
de l'enchantement et a pris de plus en plus d'importance durant
la dernière décennie. "Le récit de l'empêchement
repose sur la crise identitaire vécue de façon tragique,
précise Christian Poirier. On cherche son identité,
menacée par l'identité anglaise. Par contre, le
récit de l'enchantement constitue une rupture. L'ambivalence
identitaire est assumée, on intègre des appartenances
multiples et le rapport au passé est davantage positif."
Selon le chercheur, des cinéastes comme Claude Jutras ou
Gilles Carle oscillent entre les deux tendances, tandis que certains,
à l'image de Pierre Perreault, ont construit toute leur
oeuvre autour d'un seul axe. Le créateur de Pour la
suite du monde, par exemple, décrit avec nostalgie
un Québec à l'identité menacée par
le progrès, en tentant de se rapprocher toujours davantage
du quotidien et des gestes traditionnels. Gilles Groulx, avec
Le chat dans le sac, s'inscrit un peu dans la même
veine, en mettant en scène des personnages en quête
d'identité, dont la vie tourne en rond et semble sans issue.
Une tendance encore accentuée par l'influence de la nouvelle
vague ou du réalisme italien.
"J'ai l'impression que le sentiment de "victimisation"
traverse l'imaginaire du cinéma québécois
avec des images de perdants, de "loosers", remarque
Christian Poirier. Pourtant, à la même époque,
la société ne se porte pas si mal. Au point qu'un
abîme semble séparer les cinéastes de la population.
L'hégémonie du récit de l'empêchement
semble avoir coupé le cinéma d'ici de son public."
Les créateurs qui osent délaisser le registre du
tragique et mettent en scène des personnages qui s'en sortent
se font en effet souvent accuser de copier le modèle américain,
particulièrement lorsqu'ils alignent les succès
commerciaux.
Le chercheur remarque pourtant que de plus en plus de réalisateurs
se tournent vers ce type de récit, dans un mouvement amorcé
par Francis Mankiewicz avec Les bons débarras ou
Jean-Claude Lauzon avec Un zoo la nuit. Robert Lepage dans
Le confessionnal, Louis Bélanger dans Post-Mortem,
Jean-Louis Duval dans Matroni et moi osent mettre en scène
des personnages qui ont un contrôle sur leur vie, dans un
Québec hybride, où s'exercent différentes
influences. Même s'il refuse de se prononcer sur les chances
de ce type de récit de s'imposer dans l'avenir, Christian
Poirier remarque que celui-ci rencontre de plus en plus la faveur
du public. Le fossé séparant la population de ses
créateurs sera donc peut-être bientôt comblé.
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