28 février 2002 |
Fiers jusqu'à l'arrogance, indépendants d'esprit,
réfractaires tant à l'autorité qu'au travail
assidu, courageux, habiles de leurs mains et vaillants au combat,
telles apparaissaient les premières générations
de Canadiens aux voyageurs et administrateurs français
séjournant en Nouvelle-France au 17e siècle.
Selon Réal Ouellet, professeur associé de littérature
et membre régulier du CELAT (Centre interuniversitaire
d'études sur les lettres, les arts et les traditions),
cette nouvelle identité collective s'appuyait sur trois
piliers: la langue française, la religion catholique et
le tandem sédentarité-nomadisme. "Le tiraillement
entre deux manières d'exploiter le territoire - l'agriculture
et le commerce des fourrures - a vite marqué la population
d'origine française, explique-t-il. D'une part, la rareté
de la main-d'oeuvre, l'abondance des terres et la dispersion de
la population permettent d'échapper jusqu'à un certain
point à la contrainte du pouvoir politique et religieux.
D'autre part, une partie de la population masculine, des coureurs
de bois mais aussi de nombreux colons attirés par la traite
des fourrures, nomadise avec les Amérindiens dont elle
partage l'existence plus ou moins continûment."
Une influence déterminante
Le mercredi 20 février au pavillon Charles-De Koninck,
Réal Ouellet a prononcé une conférence sur
la canadianité au 18e siècle dans le cadre des midis-causeries
du CELAT. "Ce ne sont pas seulement des alliances formelles
et durables qui ont été forgées avec les
Amérindiens, dit-il, mais des manières d'être,
de vivre et même de penser." La chasse au gibier, la
pêche sous la glace, les déplacements en raquettes
et en canot d'écorce, fumer du tabac, même faire
la guerre à l'indienne par des embuscades, des attaques
surprises et des retraits rapides, les premiers Canadiens se démarquent
des Français de la métropole. Sur le plan social,
des pratiques quotidiennes égalitaristes atténuent
la notion de hiérarchie, un des fondements du système
monarchique français. Au milieu du 18e siècle, l'aide
de camp du marquis de Montcalm, Louis Antoine de Bougainville,
fait allusion dans sa correspondance à deux nations différentes,
voire "ennemies" dont l'animosité réciproque
va même jusqu'à perturber le déroulement des
opérations militaires.
Réal Ouellet a étudié le profil changeant de la canadianité au 18e siècle
Des nomades devenus sédentaires
Selon Réal Ouellet, une nouvelle phase de l'identité
canadienne commence avec la défaite militaire des plaines
d'Abraham en 1759. À Québec, les 8 000 habitants,
forcés de rendre leurs fusils, vivent sous la loi martiale.
En perdant le Labrador, les Grands Lacs et l'Ohio, des régions
où s'effectuait la majeure partie de la traite des fourrures,
les Canadiens perdent en même temps leur espace de nomadisme.
Lorsque gronde la Révolution américaine, quelques
années plus tard, la population de la nouvelle Province
of Quebec reste neutre. "Bousculés par les événements,
les Canadiens adoptent, me semble-t-il, une attitude attentiste
guidée par une sorte de prudence paysanne qui refuse de
s'engager sur un terrain mal connu", avance Réal Ouellet.
Leur neutralité, les Canadiens la pousseront jusqu'à
refuser de s'enrôler lorsque la colonie sera menacée
par les armées révolutionnaires américaines.
En 1778, la Gazette littéraire voit le jour. Ce
journal initie ses lecteurs aux débats d'idées.
À compter de 1806, le journal le Canadien défend
les intérêts des francophones sur la place publique.
Entre ces deux dates, 1791 voit l'instauration de l'Acte constitutionnel,
une étape cruciale dans la consolidation de l'identité
canadienne. "La constitution de 1791, si limitée soit-elle,
ouvre la porte à une prise en mains de la sphère
politique alors que les Canadiens se familiarisent avec le régime
parlementaire", précise Réal Ouellet.
|