28 février 2002 |
En 1994, les collisions cerfs-autos ont fait 211 décès, 29 000 blessés et des dommages évalués à 1,5 milliard de dollars sur les routes américaines. Au Michigan seulement, quelque 70 000 collisions avec l'insouciant cervidé surviennent chaque année. Le Québec n'est pas épargné par ce fléau ambulant puisque 6 000 automobilistes ont embouti un cerf sur ses routes en 2001.
Les problèmes causés par la surabondance des
chevreuils débordent le réseau routier. Aux États-Unis,
le pillage de ce goéland à quatre pattes se chiffre
à 500 M$ dans les champs agricoles et les vergers et à
125 M$ dans les jardins. Ses préférences alimentaires
pour les jeunes plants de chêne rouge, de pin, de pruche,
d'if et de certaines plantes de sous-bois (orchidées, trilles)
transforment progressivement le paysage forestier de régions
entières, en plus de compromettre l'avenir de certaines
entreprises forestières.
"Le cerf de Virginie est en surpopulation à peu près
partout en Amérique du Nord et il n'y a malheureusement
pas de solutions simples pour gérer son abondance",
a déclaré le professeur Jean Huot du Département
de biologie, lors du colloque annuel du Centre de recherche en
biologie forestière, qui avait lieu la semaine dernière
sur le campus.
Que de rebondissements!
Difficile à croire que ce prolifique cervidé
a frôlé la disparition, il y a quelques décennies.
Au début des années 1800, la population de cerfs
atteignait entre 10 et 15 millions de têtes. Sa peau, qui
servait de monnaie d'échange avec les Amérindiens,
a failli faire sauter la banque: en 1900, il n'y avait plus que
500 000 cerfs sur tout le territoire américain. L'interdiction
de chasse promulguée en 1910, combinée à
l'extermination de son principal prédateur, le loup, a
permis le prompt rétablissement de ses effectifs. "À
un point tel qu'en 1947, le cerf était en surpopulation
dans 30 états américains, signale Jean Huot. Sa
capacité de rebondir est tout simplement phénoménale."
Au Québec, le cerf a fait son entrée à partir
des années 1800, à mesure que le wapiti et le caribou
disparaissaient du sud du territoire. "Le cerf a pris de
l'expansion jusqu'au milieu des années 1960, et puis, soudainement,
la récolte par les chasseurs est passée de 16 000
à 2000 par an", rappelle Jean Huot. Ici aussi, les
mesures mises en vigueur pour aider le cerf ont trop bien fonctionné.
"Il y a maintenant 285 000 cerfs dans le sud du Québec
et il faudrait réduire sa population partout sur le territoire
situé au sud du Saint-Laurent, entre Montréal et
la rivière Chaudière."
Sur l'île d'Anticosti, le broutage des 125 000 cerfs compromet
la régénération des sapinières. "C'est
un cas extrême où une population d'herbivores constitue
à la fois une ressource majeure pour le tourisme et pour
la chasse et une menace pour l'intégrité des écosystèmes",
signale Jean Huot, qui dirige d'ailleurs la Chaire industrielle
de recherche CRSNG-Produits forestiers Anticosti. Les cerfs broutent
tout sur leur passage, à l'exception de l'épinette
blanche. La superficie des sapinières a diminué
de 50% depuis un siècle sur l'île et celles qui subsistent
vont disparaître sous peu en raison de leur âge avancé.
"La régénération de ces vieilles forêts,
qui servent de nourriture et d'abri aux chevreuils, est compromise
par les cerfs eux-mêmes."
Le défi de l'abondance
La plupart des solutions proposées pour reprendre le
contrôle des populations de cerfs - répulsifs, contraceptifs,
clôtures, chasseurs rémunérés - ont
un malheureux dénominateur commun: à grande échelle,
elles coûtent cher. "Même une augmentation de
la chasse a ses limites, signale Jean Huot. Les gens qui vivent
dans les banlieues ne veulent pas de chevreuils dans leur cour,
mais ils ne veulent pas de chasseurs non plus."
Les recherches menées par l'équipe de la Chaire
Anticosti ne conduiront pas à une solution finale et globale
dans le conflit avec les cerfs, prévient Jean Huot, mais
au moins, elles permettront d'écarter celles qui ne sont
que des leurres. D'ici là, à Anticosti comme ailleurs,
il va falloir apprendre à vivre avec les cerfs et composer
avec cette nouvelle réalité, comme avec le réchauffement
climatique, estime le biologiste. "Le problème avec
la faune, c'est qu'il y en a toujours trop ou pas assez. Lorsqu'une
espèce est menacée, le consensus est facile à
obtenir et les moyens pour corriger la situation sont simples.
Les problèmes de surpopulation sont définitivement
les pires pour les aménagistes de la faune."
|