7 juin 2001 |
"Désubstantialisation", perte de sens ou crise
de références, les mots durs ne manquent pas à
ceux et celles qui s'opposent aux bouleversements qui secouent
l'institution universitaire depuis quelques années. Il
faut dire que l'enjeu est de taille. Il consiste à dire:
l'université doit-elle sacrifier ses valeurs traditionnelles
que sont l'autonomie de la recherche et la transmission de la
culture, afin de répondre plus adéquatement aux
besoins de la société? Cette question de fond a
fait l'objet d'un débat, le dimanche 27 mai à l'Université
Laval, sur le thème "Quelle mission pour l'université
de demain?". Organisée par la revue Argument
, la rencontre s'est déroulée dans le cadre du congrès
annuel de la Fédération canadienne des sciences
humaines et sociales.
Selon le modérateur Daniel Tanguay, professeur au Département
de philosophie de l'Université d'Ottawa, la crise profonde
- certains disent la révolution - que traverse en ce moment
l'institution universitaire découle en premier lieu de
sa massification et de sa démocratisation. "L'université
semble devenir de plus en plus une gigantesque structure administrative
qui semble vouloir phagocyter l'ensemble des savoirs", dit-il.
Cette crise de croissance, au dire de Daniel Tanguay, a entraîné
un questionnement sur l'identité institutionnelle. Ainsi,
l'université traditionnelle défendait un certain
type d'humanisme appuyé sur un certain nombre de disciplines
maîtresses qui composaient la substance éthique de
l'institution. "Cette substance semble s'effilocher alors
que l'université perd graduellement son autonomie traditionnelle
parce que de plus en plus intégrée aux lois du marché",
explique-t-il. Enfin, cette crise identitaire renvoie à
une crise sociale, beaucoup plus large et profonde, où
les savoirs humanistes traditionnels sont remis en question.
En convergence avec le néocapitalisme
Selon Gilles Gagné, directeur et professeur au Département
de sociologie de l'Université Laval, la transformation
en cours s'accélère et a pour but de mettre l'université
en convergence avec la nouvelle structure de base du capitalisme.
Gilles Gagné rappelle qu'au lendemain de la Seconde Guerre
mondiale, les gouvernements en sont venus à voir l'éducation,
donc la formation universitaire, comme un domaine relevant de
l'investissement national. "Aujourd'hui, ajoute-t-il, l'université
est un secteur d'investissement stratégique. Cela implique
une orientation efficace de la recherche. Et celle-ci ne peut
être opérée que par la subordination de la
recherche aux organisations capables de la rentabiliser."
Selon lui, une logique administrative combinatoire de création
de programmes à durée limitée pourrait aller
jusqu'à remplacer départements et facultés.
Pour sa part, Gilles Labelle, professeur au Département
de science politique de l'Université d'Ottawa, insiste
sur le glissement qui s'est produit au niveau de la reconnaissance
du rôle du professeur d'université. Traditionnellement,
ce dernier était porteur de la culture humaniste. Plus
maintenant. Sa reconnaissance passe désormais et pour l'essentiel
par ses activités de recherche et, principalement, par
le montant de ses subventions de recherche. "La majorité
des professeurs marchent à 100 milles à l'heure
dans la "subventionnite"", indique-t-il.
Gilles Labelle se dit très pessimiste quant aux possibilités
de "refondation" de la mission traditionnelle de l'université.
Que faire, alors? "Aimer son métier, quand on est
professeur d'université, c'est déjà beaucoup,
répond-il. Cela veut dire: aimer enseigner. Malheureusement,
ce sentiment n'est pas partagé par tous. Cela veut aussi
dire: aimer la recherche au sens de se casser la tête à
se poser des questions difficiles. Par exemple: comment "refonder"
une transcendance dans nos sociétés? Ça,
c'est de la recherche. Mais vous n'allez pas être subventionné
pour ça."
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