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7 juin 2001 ![]() |
Les Presses de l'Université Laval viennent de publier
un essai d'Anne Trépanier, une étudiante au doctorat
en histoire à Laval inscrite au diplôme d'études
approfondies au Centre d'études politiques Raymond-Aron,
à Paris. Ce livre, intitulé Un discours à
plusieurs voix: la grammaire du OUI en 1995, fait revivre
le dernier référendum québécois sous
l'angle des discours souverainistes.
L'auteure démontre que la matrice qui a généré
l'argumentaire des indépendantistes est une trame vivante
faite d'arguments, de mythes, d'images et de référents
communs qui ne peut s'expliquer que comme une grammaire. "La
grammaire du OUI en 1995, précise-t-elle, c'est la combinaison
d'éléments rhétoriques, historiques et humains
qui constituent la plus simple expression de l'argumentaire souverainiste
québécois pris comme un récit. Il s'agit
d'un ensemble de règles à suivre pour argumenter
correctement l'indépendance du Québec par le biais
de l'identité et du passé historique des Québécois."
Un préambule comme point de départ
Au cours de la campagne référendaire de 1995,
le contenu du Préambule au projet de loi sur la souveraineté
du Québec, qui tenait à la fois du poème
et du manifeste politique, a frappé l'imagination de l'étudiante.
"Des phrases comme: "Voici venu le temps de la moisson
dans les champs de l'histoire" ont ébranlé
ma jeune conscience d'historienne, raconte-t-elle. J'ai ainsi
commencé à m'intéresser aux différentes
stratégies d'écriture visant à persuader."
"Des phrases comme: "Voici venu le temps de la moisson dans les champs de l'histoire" ont ébranlé ma jeune conscience d'historienne. J'ai commencé à m'intéresser aux différentes stratégies d'écriture visant à persuader."
Les éléments constitutifs de la grammaire souverainiste proviennent de dix textes écrits par plusieurs poids lourds de la cause indépendantiste et publiés sous forme d'essais, de recueils de chroniques ou de pamphlets politiques. Pour Anne Trépanier, Jacques Parizeau (Pour un Québec souverain, 1997) et Fernand Dumont (Raisons communes, 1995) apparaissent comme les auteurs les plus intéressants. Le premier, pour son argumentation claire et précise, ainsi que pour sa rhétorique bien menée destinée au grand public lecteur. Le second, plus philosophe que politicien, pour son apport majeur aux valeurs démocratiques de la société québécoise dans un texte "souvent beau comme un poème".
Nation, identité, valeurs...
La grammaire souverainiste s'appuie sur les cinq catégories
paradigmatiques suivantes: la définition de la nation,
l'identité québécoise, les valeurs authentiques,
les personnages publics et l'histoire commune. Huit éléments
se retrouvent dans chacun des textes étudiés. Ce
sont la culture, la langue française, la solidarité,
le travail et la démocratie, les bons et les traîtres,
et la capacité unificatrice.
Les conceptions allemande et française de la nation ont
inspiré des formules fortes telles que "Le rendez-vous
avec l'Histoire" ou "La grande marche du peuple québécois".
Quant aux personnages publics nommés dans les textes, soit
qu'ils admirent, soit qu'ils dénigrent le projet d'indépendance.
Ce sont notamment René Lévesque et Gaston Miron
d'une part, Pierre Trudeau et Mordechai Richler d'autre part.
Dans ce panthéon bien particulier, l'emploi du mot "traître"
apparaît nécessaire au développement du discours
souverainiste pris comme un récit. "Le personnage
du "traître", explique Anne Trépanier,
donne de la substance aux autres personnages, définis par
opposition. Provocateur, il permet aussi d'attirer l'attention
sur le projet qui sous-tend son emploi."
L'étude de ces textes a mis au jour très peu de
contradictions dans les contenus. C'est que tous les auteurs regardaient
alors dans la même direction. "Au lendemain du référendum
pourtant, d'autres propos sur "l'argent et les votes ethniques"
se sont mis à poindre, indique l'étudiante. Les
malaises, les non-dits, les excuses ont fait fléchir la
grammaire souverainiste et l'ont amenée, au tournant du
millénaire, à une nouvelle crise de l'argumentaire."
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