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7 juin 2001 ![]() |
Les données préliminaires d'une enquête
épidémiologique récente, menée conjointement
dans la province mexicaine du Chiapas par des chercheurs de l'Université
Laval et du Mexique, révèlent, entre autres, une
très forte concentration de DDE, un métabolite du
DDT, dans le sang des sujets étudiés (47,24 mg/kg).
"Plus la concentration de DDE est grande, explique le chercheur
stagiaire postdoctoral en sciences animales, Christiaan de Jager,
plus la motilité, ou la capacité à se déplacer,
des spermatozoïdes se trouve réduite, et plus le nombre
des spermatoïzodes ayant une difformité au niveau
de la queue est élevé. Or, le spermatozoïde
doit pouvoir se déplacer avec vigueur à l'aide de
sa queue afin de se rendre à l'ovule pour le fertiliser."
L'équipe de chercheurs de Laval était composée
d'Éric Dewailly et Pierre Ayotte, du Département
de médecine sociale et préventive, et de Janice
Bailey et Christiaan de Jager, du Département de sciences
animales. Leurs collègues mexicains travaillent à
l'Institut national de santé publique de leur pays. L'étude
s'est déroulée du mois d'octobre 2000 au mois de
février 2001. Financée par Santé Canada,
elle donnait suite à une étude pilote réalisée
il y a deux ans dans la même région. Un des objectifs
visés consistait à vérifier les effets de
l'insecticide organique DDT sur la fonction reproductive masculine.
L'usage de ce produit chimique est interdit au Canada depuis les
années 1970.
Selon Christian de Jager, deux aspects rendent le DDT redoutable.
Une fois utilisé, il demeure actif dans l'environnement
pendant environ 65 ans. Ensuite, le DDE devient un puissant antiandrogène,
lorsqu'il se métabolise, ce qui perturbe l'équilibre
hormonal du corps. "Chez certaines espèces animales,
dit-il, le DDT a réduit la dimension des vésicules
séminales, où se produit la grande partie du fluide
séminal, de même que le poids de la prostate."
Chez l'humain, il est associé à des problèmes
tels la puberté précoce chez les filles et le cancer
de la prostate chez l'homme.
Un produit à deux visages
Le Mexique a interdit l'usage du DDT à des fins agricoles
sur son territoire en 1996. Mais il en autorise toujours l'utilisation
dans le cadre de campagnes sanitaires de lutte contre la malaria.
Cette maladie tropicale, transmise à l'humain par la piqûre
de moustiques, tue plus d'un million de personnes chaque année
à travers le monde. Face à ce grave problème,
le DDT s'avère une des rares solutions efficaces et bon
marché pour les pays en développement. L'approche
courante consiste, une ou deux fois par an, à vaporiser
l'insecticide (2g/m2) à l'intérieur des maisons,
en particulier sur les murs et les plafonds.
Les chercheurs ont recruté 161 hommes âgés
entre 18 et 43 ans provenant de communautés relativement
pauvres de la région de Tapachula, la capitale du Chiapas.
Cette région principalement agricole est très chaude
et très humide. Chaque volontaire a effectué deux
visites au laboratoire installé pour la circonstance dans
le Centre de recherche sur la malaria de Tapachula. Après
avoir rempli un long questionnaire, les participants fournissaient
des échantillons de sang, d'urine et de sperme (dans ce
dernier cas, après trois jours d'abstinence sexuelle) pour
une analyse hormonale et une analyse relative aux insecticides.
Dans la plupart des cas, les volontaires ignoraient les dangers
inhérents aux produits chimiques. "Ils ne prennent
aucune précaution, indique Christiaan de Jager. Ils ne
ventilent pas leur maison après la vaporisation, pas plus
qu'ils ne restent un certain temps à l'extérieur.
Le contact avec le DDT est direct. Et sans vêtements protecteurs."
Utile pour combattre la malaria à peu de frais, mais nocif
à l'environnement et à l'humain, le DDT se retrouve
au coeur d'un paradoxe. La solution se trouverait dans la mise
au point d'insecticides de remplacement.
YVON LAROSE
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