15 février 2001 |
La teneur en chloroforme de l'eau potable peut doubler entre
le moment où l'eau sort de l'usine de traitement d'une
municipalité et le moment où elle est consommée
par les citoyens qui vivent à l'extrémité
du réseau de distribution. De plus, la concentration de
chloroforme peut atteindre un niveau quatre fois plus élevé
en été qu'en hiver. C'est ce que viennent de démontrer
des chercheurs du Centre de recherche en aménagement et
développement (CRAD), qui se sont penchés sur la
production de trihalométhanes (THM), notamment le chloroforme,
dans cinq réseaux de distribution d'eau potable de la région
de Québec. Les chercheurs ont dévoilé ces
résultats lors du colloque étudiant du CRAD, présenté
le 2 février sur le campus.
"Les THM sont des sous-produits de la désinfection
de l'eau, explique Manuel Rodriguez, professeur au Département
d'aménagement et chercheur au CRAD. Ils proviennent d'une
réaction entre le chlore résiduel libre et la matière
organique naturelle disponible dans l'eau. Ils n'affectent pas
l'odeur ou la saveur de l'eau, mais, en concentrations élevées,
on les soupçonne de causer le cancer."
L'étudiant-chercheur Yanninck Vinette et les chercheurs
Manuel Rodriguez et Jean-Baptiste Sérodes (Génie
civil) ont mesuré la concentration de THM dans des échantillons
d'eau prélevés à différents points
le long du réseau de distribution d'eau potable des villes
de Québec, Sainte-Foy, Beauport, Charlesbourg et Lévis,
pendant une période de 30 semaines. Le séjour maximum
de l'eau dans ces réseaux varie de 10 à 48 heures,
selon leur longueur et selon la quantité d'eau consommée
par les citoyens qui vivent aux extrémités. "La
réaction entre le chlore et la matière organique
dissoute dans l'eau se poursuit pendant tout ce temps", explique
Manuel Rodriguez.
La présence des THM est connue et réglementée,
poursuit le chercheur. Les normes qui seront bientôt annoncées
par le ministère de l'Environnement abaissent la concentration
permise de 350 à 80 microgrammes par litre. "Les grandes
villes qui ont les moyens de se payer de bons systèmes
de traitement de l'eau ne devraient pas avoir de difficulté
à respecter cette norme. Par contre, nous estimons qu'entre
200 et 300 municipalités du Québec, qui chlorent
leur eau sans enlever la matière organique, pourraient
excéder la norme à certains moments de l'année
ou en certains points de leur réseau."
Le chercheur constate que la nouvelle réglementation laisse
un peu trop de latitude aux gestionnaires de réseau d'eau
potable quant à l'application de cette norme. "Le
règlement prévoit un prélèvement par
trimestre, mais il ne précise pas à quel endroit
dans le réseau ni à quel mois précisément
ces prélèvements doivent être faits. Pour
assurer la sécurité de la population, il faudrait
que les échantillons soient pris à l'endroit et
pendant la période où les concentrations de THM
sont à leur maximum, soit aux extrémités
des réseaux et au mois d'août."
Au delà des perceptions
Le séjour prolongé de l'eau dans les réseaux
semble également affecter le jugement que portent les citoyens
sur sa qualité. En effet, les résultats préliminaires
d'une étude menée par l'étudiant-chercheur
Steve Turgeon, sous la direction de Manuel Rodriguez et Marius
Thériault, montrent que plus les citoyens vivent loin de
l'usine de traitement, moins ils sont satisfaits de leur eau.
Les chercheurs ont démontré ce fait en cartographiant,
à l'aide du code postal des répondants, les données
provenant d'une enquête menée en 1995 auprès
de quelque 2000 résidants de Québec, Sainte-Foy,
Sillery et Lévis par une équipe de la Faculté
de médecine et du Centre de santé publique de Québec.
Ils ont ainsi établi la relation entre la position des
résidences le long du réseau et le degré
de satisfaction des résidents par rapport à l'eau.
Que se passe-t-il dans les tuyaux? "Il peut y avoir des problèmes
de corrosion, mais ce sont surtout des problèmes de stagnation,
estime Manuel Rodriguez. L'eau circule moins dans les extrémités,
surtout s'il y a moins de résidents. Il peut se former
du calcaire par exemple. En général, ça ne
cause pas de torts à la santé, mais ça affecte
la perception des citoyens par rapport à la qualité
de leur eau."
Maintenant qu'il a démontré que le temps de séjour
dans le réseau affecte la perception qu'ont les citoyens
de leur eau, Steve Turgeon a entrepris une seconde étude,
auprès de 600 ménages de Québec et Sainte-Foy,
afin de déterminer si la perception de la qualité
de leur eau est effectivement reliée à sa véritable
composition chimique.
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