Helmut Kröger, ne prétend pas avoir trouvé
la solution au problème de plafonnement de la vitesse
des ordinateurs. Il estime cependant avoir trouvé un chemin
qui vaut la peine d'être exploré, si on veut éviter
une collision violente avec le mur de la miniaturisation. Ce
chemin, balisé d'équations cryptiques, croise des
vallées d'atomes et des montagnes de particules élémentaires
qui conduisent à un pays encore largement inconnu: le
chaos quantique.
La loi de Moore
En 1965, Gordon Moore, qui allait devenir trois ans plus
tard cofondateur de Intel, soulignait que la vitesse des ordinateurs
doublait pratiquement à tous les 18 à 24 mois.
Cette observation, appelée depuis la première Loi
de Moore, s'est avérée étonnamment juste
au cours des 35 dernières années. Lorsque Moore
a énoncé sa loi, le processeur le plus complexe
possédait 64 transistors; 35 ans plus tard, le Pentium
III en contient 28 millions. La première conséquence
de cette croissance exponentielle, bien connue de tous, est que
18 à 24 mois après son achat, un ordinateur personnel
fait figure d'objet de musée devant les nouveaux modèles
qui arrivent sur le marché.
Le nerf de la guerre en matière de vitesse informatique
a un petit nom qui en dit long: miniaturisation. "La raison
en est fort simple", explique Denis Poussart, du Département
de génie électrique et de génie informatique.
"Toutes autres choses étant égales, plus un
circuit est petit, plus le temps requis pour transférer
l'information d'un point à un autre est court et plus
l'ordinateur est rapide. On approche cependant de la dimension
en deçà de laquelle le flot d'électrons
ne se comporte plus comme une rivière qui coule. Le nombre
de charges en cause peut être aussi faible que quelques
dizaines d'électrons dont le défilement est davantage
probabilistique."
Le cantique des quantiques
Le chaos quantique s'intéresse justement aux phénomènes
dont l'issue ne peut être prédite à l'aide
de la physique conventionnelle. "Un exemple simple de chaos
est une boule de billard projetée dans une enceinte ovale,
explique Helmut Kröger. La boule roule, frappe les côtés,
rebondit et continue sa course. Au départ, le système
semble simple, mais il suffit qu'il y ait une toute petite imprécision
sur la position initiale de la boule pour qu'il y ait amplification
de l'erreur, au point où il devient impossible après
quelque temps de prédire correctement la position de la
boule. Son mouvement devient chaotique. Transposé à
la physique atomique, ce système illustre le chaos quantique."
La réduction des circuits informatiques à un diamètre
avoisinant celui d'un atome entraîne des phénomènes
quantiques non négligeables, poursuit le physicien. Présentement,
le diamètre des circuits est limité par la longueur
d'onde de la lumière utilisée pour les tracer.
"On peut encore décrire le mouvement des électrons
dans ces circuits avec des équations de physique classique.
Mais, à des dimensions plus petites, leur mouvement devient
chaotique et les équations de chaos classique ne sont
pas suffisantes pour décrire leur trajectoire. On ne dispose
pas encore d'outils pour bien décrire leur comportement
et c'est ce qu'on vise en étudiant le chaos quantique."
Dans l'édition de janvier de la revue scientifique Physical
Review Letters, le chercheur et ses collègues Hamza
Jirari (U. Laval), Xiang Luo (U. Zhongshan, Chine), Kevin Moriarty
(U. Dalhousie) et Sergei Rubin (Institut de génie physique
de Moscou) proposent une nouvelle action quantique pour analyser
et comprendre des systèmes de chaos quantique. "Les
méthodes mathématiques utilisées pour l'étude
du chaos classique ne s'appliquent pas directement. On suggère
une sorte de lien entre les deux."
De nature hautement fondamentale, ces recherches pourraient mener
à des prédictions sur les limites théoriques
de miniaturisation des circuits informatiques. "Elles pourraient
aussi conduire à la conception d'une nouvelle architecture
pour les microprocesseurs. Il faut voir, tempère Helmut
Kröger. Mais, avant tout, c'est un problème intéressant
du point de vue théorique.
JEAN HAMANN
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