1 février 2001 |
"Je serai ravie de faire partager les résultats
de mes recherches, mon plaisir à avoir rédigé
ma thèse et mon amour pour l'oeuvre d'Anne Hébert."
D'origine française, au Québec depuis plus de cinq
ans, Anne Fonteneau a soutenu sa thèse de doctorat en littérature
québécoise au mois de décembre dernier. Sa
prestation lui a mérité la mention "très
bien avec félicitations du jury". Fait à souligner,
il ne lui a fallu que deux ans et demi pour accoucher d'une étude
sur le féminin et le sacré dans l'oeuvre de la célèbre
écrivaine décédée l'an dernier. "J'adorais
mon sujet, explique-t-elle. Je ne me suis jamais lassée,
ou ennuyée. Je n'ai eu quasiment aucune difficulté."
Autre particularité: elle a rédigé toute
sa thèse dans un café du Vieux-Québec! Selon
elle, il peut devenir déprimant de travailler tout seul.
C'est pourquoi, plusieurs heures par jour, elle a écrit
en compagnie de trois amies qui faisaient de même pour leur
mémoire de maîtrise. "Parfois on bloque sur
un mot ou sur une idée qu'on ne sait pas comment développer,
dit-elle. Le fait d'en parler aide énormément."
Trois choses l'ont fascinée chez Anne Hébert. D'abord,
l'écrivaine a touché à tous les genres littéraires,
y compris l'essai. Ensuite, ses histoires se déroulent
au Québec, mais aussi en France. Enfin et surtout, elle
est une auteure insaisissable, ambivalente. "Chaque fois
qu'on a l'impression de la comprendre, elle dit le contraire de
ce qu'elle vient de dire deux lignes auparavant, soutient Anne
Fonteneau. C'est une chose que j'ai trouvée fabuleuse chez
elle, et exaspérante en même temps. Pour ça,
je pense qu'on aura toujours quelque chose à dire sur son
oeuvre."
Un corpus impressionnant
Vingt oeuvres (romans, récits, recueils de nouvelles
et pièces de théâtre) ont constitué
le corpus d'étude de la thèse. Le recueil de nouvelles
Le Torrent (1950) et le roman Un Habit de lumière
(1999) ouvrent et ferment la période étudiée.
La quête identitaire se retrouve au coeur de l'oeuvre hébertienne.
L'écrivaine met en scène des femmes fortes que la
société contraint à jouer le rôle de
"poupées mécaniques sans aspirations propres".
Or, plutôt que d'accepter ce destin étouffant dans
un univers sombre et misogyne, ces êtres de caractère
se révoltent. "Les femmes hébertiennes sont
violentes, la plupart donnent la mort, souligne Anne Fonteneau.
Dans leur désir de se libérer et de connaître
autre chose, elles vont jusqu'à faire tuer la personne
qu'elles haïssent. Par exemple, Élisabeth, dans le
roman Kamouraska, fait assassiner son mari par son amant."
Les croyances et les petits rituels individualisés occupent
une place importante chez ces héroïnes en démarche
d'émancipation. Pour elles, le sacré se vit désormais
au quotidien, qu'il s'agisse de retrouver le contact avec leur
corps en se baignant dans la mer, ou de s'imaginer autre en jouant
à enfiler des vêtements. Elles sacralisent également
ces expériences féminines que sont la maternité
et la sororité. Dans cet univers existe une réelle
solidarité entre femmes. Par exemple, ce sont les trois
tantes d'Élisabeth, dans Kamouraska, qui obligent
leur nièce à s'éloigner de son mari alcoolique,
infidèle et violent et à revenir auprès des
siens à Sorel.
Passer d'objet à sujet
Par des transgressions violentes, les héroïnes
hébertiennes deviennent le sujet de leur vie. En retour,
elles suscitent l'effroi et la fascination. Si toutes cherchent
à "prendre pied dans le monde", la plupart aboutissent
à un entre-deux. Selon Anne Fonteneau, ce résultat
vaut mieux que le statu quo. "Dans le cas d'un meurtre, dit-elle,
la libération reste partielle car la victime prend plus
de force dans le souvenir. Mais c'est déjà bien
de participer à la vie au lieu de se laisser aller. Après,
on gagne si on peut." En 1971, dans une entrevue qu'elle
accordait sur son roman Kamouraska, Anne Hébert
déclarait: "Ce qu'il faut, c'est vivre."
Sa thèse de doctorat maintenant terminée, Anne Fonteneau
sent le besoin de s'éloigner du milieu étudiant.
"J'ai fait toutes mes années d'université sans
m'arrêter et j'aimerais me confronter au monde du travail",
indique-t-elle, avant d'ajouter qu'un postdoctorat demeure une
possibilité. L'avenir le dira.
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