8 juin 2000 |
Plus une femme inuit a un taux élevé de polluants organochlorés dans son organisme, plus ses enfants sont susceptibles de souffrir d'otites. Voilà la surprenante conclusion à laquelle arrivent les chercheurs Éric Dewailly, Pierre Ayotte, Suzanne Bruneau, Suzanne Gingras, Marthe Belles-Isles et Raynald Roy, de la Faculté de médecine et de l'Unité de recherche en santé publique, au terme d'une recherche menée au Nunavik. Les chercheurs livrent les détails de leur étude, réalisée auprès de 171 femmes inuit et de leur enfant, dans le dernier numéro de la revue scientifique Environmental Health Perspectives.
Les chercheurs ont mesuré la concentration de BPC et de huit pesticides organochlorés dont le mirex, le DDE, le dieldrin et l'hexachlorobenzène dans le lait récolté auprès de mères inuit dans les 72 heures suivant leur accouchement. Les données ainsi obtenues sont indicatrices du taux d'exposition prénatale du foetus à ces polluants. Leurs analyses révèlent que le risque qu'un enfant souffre d'otite pendant sa première année de vie augmente de 50 % lorsque sa mère est fortement contaminée en DDE et hexachlorobenzène (tiers supérieur de concentrations) plutôt que faiblement contaminée (tiers inférieur de concentrations). Le risque d'otites à répétition - trois ou plus en un an - augmente en fonction du degré d'exposition prénatale à ces deux mêmes produits.
Les chercheurs ont voulu savoir si le mode d'alimentation des enfants avait un effet sur les risques d'otites en comparant les cas d'infections chez les 98 bébés nourris au sein à ceux des 73 nourris à la bouteille. Malgré l'effet protecteur généralement attribué au lait maternel, 80 % des enfants inuit étudiés ont eu au moins une otite, peu importe le mode d'alimentation. La protection conférée par l'allaitement maternel semble limitée au trois premiers mois de vie. "Nous avons noté une tendance en ce sens (non significative au plan statistique) pendant cette période, signalent les chercheurs. Il se peut que les anticorps de la mère, transférés à l'enfant par le lait, réduisent le risque d'otite. Mais les organochlorés contenus dans le lait s'accumulent dans le corps de l'enfant et peuvent éventuellement atteindre des concentrations nocives pour son système immunitaire."
Changement de régime
Les enfants du Nunavik semblent très sensibles aux
maladies infectieuses telles que la méningite, les infections
broncho-pulmonaires et plus particulièrement l'otite. La
perte d'audition est d'ailleurs le problème chronique de
santé le plus fréquemment rapporté dans cette
population. Près du quart des jeunes d'âge scolaire
souffrent de perte d'acuité auditive causée par
les otites.
En raison de leur alimentation riche en gras provenant de mammifères marins, les Inuit du Nunavik détiennent le triste record de population la plus contaminée au monde par les organochlorés. Ces produits, transportés sur de longues distances, s'accumulent dans la chaîne alimentaire et se concentrent dans les graisses des mammifères marins (phoques, ours polaires, bélugas) dont se nourrit cette population. Une étude menée par le groupe d'Éric Dewailly et de Pierre Ayotte a déjà démontré que les concentrations en composés organochlorés retrouvées dans le lait des femmes inuit sont de deux à dix fois plus élevées que chez les femmes habitant le sud du Québec. Les organochlorés s'accumulent dans les tissus gras des êtres vivants, ils peuvent traverser la barrière placentaire et perturber le développement du foetus pendant une période où il est particulièrement vulnérable.
En raison du lien entre les otites et l'exposition prénatale aux organochlorés, une réduction des concentrations de ces polluants dans l'organisme des femmes en âge de se reproduire semble souhaitable, signalent les chercheurs. Il suffirait pour cela de consommer davantage d'aliments traditionnels riches en éléments nutritifs et pauvres en polluants, par exemple l'omble chevalier. Comme l'allaitement maternel n'augmente pas les risques d'infections, les chercheurs ont recommandé aux mères inuit qui optaient pour l'allaitement au sein de ne pas modifier leurs habitudes.
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