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17 février 2000 ![]() |
Le Centre de recherche en littérature québécoise
(CRELIQ) de la Faculté des lettres vient de recevoir, du
Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH), plus de 900
000 $, sur cinq ans, pour poursuivre ses travaux sur l'histoire
de la vie littéraire au Québec, Ces travaux ont
déjà entraîné la parution, aux Presses
de l'Université Laval, des quatre premiers tomes de La
vie littéraire au Québec. Le projet,
subventionné dans le cadre des "Grands travaux de
recherche concertée" du CRSH, implique des chercheurs
de trois autres universités québécoises:
l'UQÀM, l'UQTR et Sherbrooke.
L'entreprise ambitieuse menée depuis maintenant douze ans par le CRELIQ équivaut un peu à se plonger dans l'étude de la mise au monde d'une nouvelle religion ou l'observation de la naissance d'une nation: certains éléments à caractère historique, sociologique ou même politique, qu'on croyait disparates, en viennent à se conjuguer, à converger, et prennent tout leur sens à la lumière de la naissance d'une littérature propre au Québec. Année après année, les chercheurs du CRELIQ décortiquent des milliers de pages oubliées, sous la direction de Denis Saint-Jacques et de Maurice Lemire, professeur retraité au Département de littératures, sans se soucier de l'excellence littéraire ou de l'importance de chaque auteur. La vie littéraire au Québec s'intéresse à l'ensemble de ce qui touche la production culturelle: bibliothèques, cabinets de lecture, librairies, maison d'édition, revues, journaux, cercles, associations, clubs de poètes ou d'hommes de théâtre, universités, séminaires, etc. Cette synthèse unique tente plutôt de comprendre comment des ouvrages littéraires ont pu émerger, puis prospérer, dans ce bout de pays qui a ignoré l'imprimerie jusqu'aux débuts du régime anglais.
À l'affût des couleurs locales
Contrairement aux chercheurs canadiens anglais qui s'intéressent
à la littérature britannique lue à l'époque
dans la colonie, l'équipe de La vie littéraire
au Québec traque les moindres traces d'une production
vraiment locale. Il faut d'ailleurs attendre 1764, le point de
départ du premier volume de la série, pour que tout
se mette en branle. Jusque-là, en effet, les ouvrages produits
en Nouvelle-France s'adressaient avant tout à la métropole,
et ne faisait l'objet d'aucune distribution dans le pays même.
"C'est une recherche un peu scandaleuse du point de vue nationaliste,
souligne en riant Denis Saint-Jacques, car on voit que les Anglais
ont une attitude bien plus libérale que les Français,
à l'époque, par rapport à l'écrit!"
Dès le départ des troupes françaises, quelques
journaux font leur apparition dans cette partie du monde qui s'appellera
plus tard le Québec. Des journaux d'ailleurs en anglais,
dans un premier temps, avant l'apparition des premiers organes
francophones au XIXe siècle.
À cette époque des balbutiements de notre littérature nationale, ce genre ne se limite pas à la poésie, au théâtre ou au roman. Pour comprendre véritablement la naissance, ici, d'une classe de gens de lettres, les chercheurs du CRELIQ ont fait flèche de tout bois. Dans les premiers volumes de La vie littéraire au Québec, ils ont ainsi décortiqué les transcriptions des discours des hommes publics, sans toujours comprendre d'ailleurs les raisons du succès d'un Louis-Joseph Papineau, réputé pour ses talents d'orateur. En se basant sur les travaux d'historiens sur la Conquête, ils ont pu prendre finement le pouls de la fin du XVIIIe siècle, alors que marchands écossais et seigneurs canadiens tentent de s'approprier l'écriture publique pour conquérir une parcelle du pouvoir détenu par le gouvernement colonial.
Les premiers livres d'histoire
C'est peut-être le milieu du XIXe siècle qui
constitue un tournant majeur pour la venue au monde de la littérature
d'ici. Dès le troisième volume de la série,
qui s'attarde à la période 1840-1869, les chercheurs
du CRELIQ décrivent l'émergence du journal comme
porte-voix de l'opinion publique, parallèlement à
l'éclosion d'un mouvement national. Des oeuvres majeures
font leur apparition, comme par exemple les Anciens Canadiens
de Philippe-Joseph Aubert de Gaspé, ou les ouvrages
de l'historien François-Xavier Garneau. "Pour faire
carrière en littérature à cette époque,
il faut soit devenir politicien, soit fonctionnaire, précise
Denis Saint-Jacques. Personne n'a en effet les moyens de vivre
uniquement de sa plume."
Au fil des ans, les chercheurs se passionnent donc pour des auteurs oubliés depuis longtemps par les générations qui leur ont succédé. Les querelles identitaires autour de la langue et de la façon de la parler semblent parfois presque contemporaines, et les chroniques décoiffantes d'un Arthur Buies, vers 1864, férocement libéral, ne paraissent pas si éloignées de celles de Pierre Foglia dans La Presse d'aujourd'hui. Finalement, les étudiants du Département des littératures engagés pour dépouiller les milliers de bobines de microfilm qui gardent traces des journaux de l'époque, reviennent enchantés de leur voyage dans le temps, car ils découvrent avec enthousiasme une richesse documentaire complètement méconnue.
Des mondes qui meurent et naissent
Le cinquième volume de la série La vie littéraire,
à paraître prochainement, devrait d'ailleurs encore
mieux mettre en lumière l'étendue de ce gisement
qui dort actuellement en bibliothèque. Il porte en effet
sur une période charnière, celle du tournant du
XXe siècle où la littérature prend un nouvel
essor dans un Montréal de plus en plus riche. Les théâtres,
les magazines, les collections artistiques connaissent un véritable
âge d'or, ce qui a d'importantes répercussions pour
les gens de lettres. De plus en plus, également, ces derniers
se rapprochent de la France, en particulier de ses courants conservateurs.
"L'histoire de la littérature témoigne aussi de la fin d'un monde, fait remarquer Denis Saint-Jacques. Ainsi le roman du terroir, qui fait l'apologie de la vie à la campagne, n'apparaît pas au XIXe siècle, mais bien au vingtième, quand les gens éprouvent en fait la perte de ce mode de vie." Les deux autres volumes en préparation, qui amènent les chercheurs à travailler sur des oeuvres écrites jusqu'en 1952, devraient permettre à l'équipe du CRLIQ d'expliquer davantage la modernisation brutale que subit une littérature devenue, depuis, "québécoise". Car les principaux ferments qui permettront l'éclosion des Michel Tremblay, Yves Beauchemin, Jacques Poulin et autres auteurs contemporains, sont déjà contenus dans les oeuvres de leurs prédécesseurs. Encore fallait-il les mettre au jour, et les dépoussiérer.
La vie littéraire au Québec est une oeuvre de référence incontournable que la critique a déjà reconnue comme un modèle en son genre. Elle offre aux étudiants, aux enseignants et aux spécialistes une solide synthèse qui s'insprire d'une approche originale et d'une recherche de première main.
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