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10 février 2000 ![]() |
Claude Lemieux, Christian Otis et Monique Turmel écrivent aujourd'hui une nouvelle page de l'histoire des plantes dans la revue scientifique Nature. Les trois chercheurs du Département de biochimie et de microbiologie publient, dans l'édition du 10 février de la prestigieuse revue britannique, un article dans lequel ils identifient l'ancêtre de toutes les plantes vertes qui peuplent les continents et les eaux de notre planète. Cette "Eve" des plantes terrestres et des algues vertes porte le nom peu racoleur de Mesostigma viride; on ne lui connaît aucun nom commun en dépit du fait qu'elle a été décrite pour la première fois en 1899. Il s'agit d'une algue microscopique, formée d'une seule cellule, qui vit en eau douce. Ses caractéristiques physiques trahissent son "âge" vénérable: elle est recouverte d'écailles et les deux flagelles qui servent à sa locomotion sont situés en position ventrale plutôt qu'à l'extrémité de son "corps". Les premiers spécimens de la lignée de Mesostigma auraient vu le jour il y a environ 1 milliard d'années. Ce n'est pas à l'aide des caractéristiques physiques primitives de cette algue ni grâce à la mise à nu de fossiles que les chercheurs ont réussi à établir le caractère ancestral de cette plante. |
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Photo Marc Robitaille |
Des répercussions considérables
Cette découverte revêt un intérêt
considérable dans les domaines de l'évolution et
de la phylogénie des plantes. D'une part, le fait que la
grand-mère des plantes vertes vive en eau douce remet en
question l'hypothèse selon laquelle la colonisation des
continents s'est produite à partir de plantes vivant en
eau salée. "Il ne faut pas sauter aux conclusions
trop rapidement, prévient cependant Claude Lemieux. Les
modifications génétiques grâce auxquelles
une plante peut passer de l'eau salée à l'eau douce
peuvent survenir dans un laps de temps relativement court du point
de vue de l'évolution. Nos résultats n'excluent
pas formellement l'origine marine des plantes terrestres mais
ils permettent d'en douter."
Autre répercussion: l'arbre généalogique des plantes vertes, qui ne comptait que deux embranchements les Streptophytes et les Chlorophytes - vient de s'enrichir d'une nouvelle branche. "Pour le moment, seuls les représentants modernes de Mesostigma viride occupent cette branche, précise Claude Lemieux. Il pourrait y avoir d'autres espèces mais elles ne sont pas encore identifiées. Il pourrait même y avoir des algues vertes qui sont apparues plus tôt que Mesostigma au cours de l'évolution mais, pour le moment, c'est la plus ancienne lignée connue."
Une dernière répercussion, plus technique celle-là, est que la méthode utilisée par les chercheurs de Laval - le séquençage de tout l'ADN du chloroplaste plutôt que d'un ou de quelques gènes ouvre la voie à des analyses plus fines de la généalogie des plantes. "Lorsqu'on utilise peu de gènes, explique Claude Lemieux, on ne parvient pas à identifier suffisamment de caractères indépendants, ce qui peut conduire à des conclusions erronées."
Un an de préparation
Les trois chercheurs ont travaillé pendant près
d'un an à la préparation de l'article de Nature.
Ils ont soumis l'article à l'éditeur de la revue
britannique l'été dernier mais les arbitres ont
demandé à l'équipe de Laval de refaire certaines
analyses afin de déterminer pourquoi leurs résultats
différaient de ceux rapportés il y a un an environ
par une équipe américaine qui arrivait à
des conclusions différentes quant à la position
occupée par Mesostigma dans l'arbre généalogique
des plantes. "Ces analyses supplémentaires ont confirmé
nos premiers résultats", résume Claude Lemieux.
Rencontrés par le Fil quelques jours avant la parution de leur découverte dans Nature, les trois chercheurs étaient évidemment soulagés, fiers et impatients. Dans le monde des sciences, publier dans les revues Nature ou Science équivaut à gravir l'Everest pour un alpiniste. Pourtant, les trois chercheurs n'en sont pas à leur premier article dans Nature puisque l'an dernier, ils y cosignaient une publication avec d'autres chercheurs canadiens. La différence cette fois-ci est que toute la recherche peut être qualifiée de "Made in Laval", fait valoir Claude Lemieux. "L'équipe de chercheurs est entièrement de Laval et tout le travail de séquençage et d'analyse biostatistique a été fait au pavillon Charles-Eugène-Marchand. Les analyses statistiques ont exigé au moins deux semaines de travail au superordinateur Cray du Centre de calcul scientifique."
Les seuls autres cas récents de publications exclusivement "Laval" dans Nature sont attribuables à Mircea Steriade (Médecine) en 1996, Luc Simon, Maurice Lalonde (Foresterie et géomatique) et Roger Lévesque (Médecine) en 1991.
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