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27 janvier 2000 ![]() |
Une grande photo trône sur le bureau de Louis Bélanger.
Elle le représente en pleine forêt, entouré
de quelques étudiants qui viennent de lui installer une
corde autour du cou. "Ce jour-là, j'avais eu le malheur
de demander comment se fabriquait un noeud de pendu," explique,
en éclatant de rire, ce professeur en aménagement
forestier. Manifestement, celui que ses premiers étudiants
ont surnommé "Little beaver", à la fois
pour sa ressemblance avec le castor et le lutteur bien connu,
ne se prend pas au sérieux. Son credo: s'amuser en menant
des recherches reconnues comme fondées et sérieuses.
C'est l'émerveillement devant le spectacle des oiseaux observés lors d'un séjour à l'Ile-aux-Basques, alors qu'il était étudiant à l'école secondaire, qui a poussé Louis Bélanger à s'orienter vers des études en biologie. Son baccalauréat en poche, il a soudain réalisé qu'il voulait davantage travailler à trouver des solutions à la mise en valeur des forêts, plutôt qu'à analyser des problèmes. "Quand il est arrivé à la Faculté de foresterie et de géomatique, se souvient son professeur d'alors, Marius Pineau, je lui ai fait valoir l'importance d'avoir une position politique lorsqu'on aborde l'aménagement forestier. Il faut savoir à qui s'adresse l'espace que les ingénieurs forestiers aménagent."
Marier les genres forestiers
Apparemment, "le flo à Pineau", comme
l'appelaient les collègues de la Faculté, témoins
involontaires des prises de becs amicales entre le professeur
et son élève, a bien retenu la leçon. Une
grande partie de son travail, à la conjonction de plusieurs
disciplines, porte en effet sur les conséquences directes
de la façon dont on administre les forêts. Des trappeurs
de Charlevoix ont ainsi sollicité son avis, il y a quelques
années, car ils constataient que le gibier fuyait la région,
quand de jeunes arbustes en croissance se faisaient couper par
l'industrie forestière.
"Ce type de coupe, appelée éclaircie précommerciale, donne à la forêt un air de plantation, précise Louis Bélanger. Nos recherches ont démontré qu'elle nuisait à la survie du lièvre, car il a besoin d'un couvert forestier pour se protéger. Or si cet animal disparaît, d'autres espèces vont suivre." Le chercheur a donc recommandé l'imposition de nouvelles normes pour protéger davantage les arbustes, ce qui semblait satisfaire le partenaire industriel qui avait financé en partie les travaux, mais non les autorités gouvernementales.
Comment se partager la forêt?
En fait, même si Louis Bélanger ne cache pas
ses sympathies environnementalistes, depuis qu'il a fondé
et participe à la Coalition sur les forêts vierges
nordiques, il ne considère pas pour autant l'industrie
forestière comme l'ennemie à abattre. Ses recherches
visent plutôt à trouver des stratégies pour
concilier différentes utilisations de la forêt. Ainsi,
il travaille actuellement avec les Cris de Waswanipi, qui pratiquent
les coupes en mosaïques pour alimenter leur scierie. Ce type
de coupe, expérimenté depuis plusieurs années
à la Forêt Montmorency, évite la fameuse coupe
à blanc et varie les surfaces rasées. Il s'agit
maintenant de démontrer que cette coupe assure le maintien
des espèces intéressantes pour les Cris, comme la
martre et l'orignal, puisque les autochtones tentent de concilier
mode de vie ancestral et exploitation économique de la
forêt.
Passionné depuis plusieurs années par les rapports entre l'écologie, la faune, les besoins des usagers de la forêt, l'industrie forestière, Louis Bélanger a plongé avec enthousiasme dans le débat qui a entouré la sortie du film de Richard Desjardins, L'erreur boréale. Sans cautionner toutes les thèses de ce brûlot filmique, il a profité de cette occasion en or pour se questionner publiquement sur le devenir de la forêt québécoise, en participant à de nombreuses rencontres publiques. "Grâce au film de Desjardins, remarque-t-il, la forêt est enfin devenue un objet de surveillance. Les Québécois ont montré qu'ils y tenaient."
L'exigence en tête
Animé par ses convictions, Louis Bélanger n'a
pas cherché à se cacher derrière la neutralité
du professeur impartial lorsqu'il a participé aux différents
forums. Il a clairement affiché ses couleurs pour la Coalition
des forêts vierges nordiques, un engagement qui fait tiquer
son ancien professeur, Marius Pineau, qui craint que le chercheur
y perde une partie de sa crédibilité. "Je ne
pense pas, rétorque Pierre Larue, un étudiant des
débuts de sa carrière. La réputation de Louis
Bélanger en matière de connaissances fauniques et
en foresterie est très reconnue en Amérique du Nord."
Cet ingénieur forestier a pu constater que l'ambiance joyeuse et bon enfant qui régnait dans le bureau de Louis Bélanger n'a jamais empêché ce dernier de se montrer très exigeant envers les étudiants qui poursuivent une maîtrise sous sa direction. Il les oblige ainsi, parfois, à recueillir de nouvelles données sur le terrain, et surtout leur demande d'écrire plusieurs versions de leur mémoire, jusqu'à ce que les travaux soient publiables par des revues scientifiques sérieuses.
Conscient de la justesse des remarques de son ancien professeur, Pierre Larue ne lui a pas tenu rigueur des discussions parfois épiques à propos de ses travaux. La preuve, il l'a initié à la chasse au petit gibier. "Au début, je m'en servais comme chien rabatteur, précise-t-il le sourire en coin. Il faisait tellement de bruit en marchant dans la forêt, qu'il attirait tous les animaux vers le coin où je me trouvais!" Finalement, "le petit bâton de dynamite" a fini par ralentir son rythme, et se lance même maintenant dans la chasse aux canards. Ce qui démontre clairement qu'on peut défendre vigoureusement la forêt, sans pour autant la considérer comme une matière fragile à mettre sous cloche, où il ne faudrait ni tuer un animal, ni ramasser une framboise.
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