14 octobre 1999 |
Au cours des dernières décennies, les gouvernements qui se sont succédés à Ottawa ont pris des décisions qui, dans 60 % des cas, étaient en accord avec l'opinion exprimée par la population lors de sondages nationaux, révèle une étude menée au Département de science politique. Les représentants du peuple sont donc allés à l'encontre de la volonté populaire dans 40 % des cas, une statistique qui se compare aux données rapportées pour les États-Unis. "Il n'y a pas de raisons isolées qui permettent d'expliquer pourquoi le gouvernement ignore si souvent l'opinion publique, commente l'auteur de l'étude, François Petry. Aucun gouvernement ne gouverne exclusivement par sondages mais aucun gouvernement ne les ignore totalement. Même Saddam Hussein s'intéresse à l'opinion publique, ne serait-ce que pour la manipuler."
Professeur en science politique et directeur du programme de Maîtrise en analyse des politiques, François Petry a relevé les résultats de sondages d'opinion publique, effectués entre 1968 et 1993, sur 348 dossiers d'intérêt national. Il a ensuite mis ces résultats en relation avec les décisions législatives, exécutives ou judiciaires prises par le gouvernement de l'époque dans les douze mois suivant le sondage.
Peu d'influence directe
En plus de faire tomber le mythe du "gouvernement par
sondage", son analyse, publiée dans le dernier numéro
de la revue scientifique The Journal of Politics, révèle
des faits étonnants. La consistance entre l'opinion publique
et la position du gouvernement est deux fois plus élevée
sous le régime Mulroney que sous celui de Pierre-Elliot
Trudeau, et ce principalement en raison des politiques économiques
des Conservateurs. Pourtant, des années Mulroney, on se
souvient surtout du traité de libre-échange avec
les États-Unis et de la taxe sur les produits et services,
tous deux adoptés en dépit de l'opposition d'une
forte majorité de Canadiens. "Il s'agit d'exceptions
importantes mais on peut supposer que la population était
favorable aux autres mesures économiques adoptées
par le gouvernement Mulroney", explique François Petry.
L'opinion publique aurait peu d'influence directe sur les politiques même lorsque les deux vont dans le même sens. En effet, les analyses de François Petry n'indiquent aucune relation entre le pourcentage de la population favorable à une mesure et l'adoption de cette mesure par le gouvernement. Autre surprise, la consistance entre l'opinion publique et les actions politiques ne change pas à mesure qu'approchent les élections...
Sans dicter l'agenda du gouvernement, les sondages font partie de l'exercice du pouvoir, souligne le chercheur. Ainsi, à la fin de 1990 et au début de 1991, le gouvernement Mulroney commandait des sondages presque quotidiens pour connaître l'opinion de la population sur la participation canadienne à la guerre du Golfe persique. "L'opinion publique joue un rôle important dans la prise de décision des gouvernements mais ça ne signifie par que le gouvernement va faire ce que la population exprime parce que ce pouvoir est partagé avec plusieurs autres acteurs", résume-t-il.
"Il existe une relation réciproque entre l'opinion publique et les gouvernements et ce n'est pas une relation passive, poursuit François Petry. Le gouvernement peut manipuler les perceptions par des campagnes d'information et ainsi modifier l'opinion publique sur un sujet donné." C'est d'ailleurs du côté de cette consistance artificiellement créée que François Petry entend maintenant orienter ses travaux.