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14 octobre 1999 ![]() |
"Comme saint Paul au temps où l'institution ecclésiale
n'existait pas encore, je crois à la puissance de la Parole
de Dieu, qui peut faire son chemin sans la tutelle des Églises."
Le débat sur la place de la religion à l'école est déjà bien engagé. Pour qu'il puisse avancer, il importe de clarifier certains termes qui déterminent les enjeux en cause. Ainsi, au centre du débat se trouve l'idée d'un enseignement culturel de la religion. Mais comment faut-il l'entendre? Un enseignement culturel de la religion peut, en effet, signifier deux choses bien différentes: ce peut être un enseignement non confessionnel de la religion; ce peut être aussi un enseignement non religieux de la religion.
Un enseignement non confessionnel ?
Au sens premier, fort et strict du terme, " confessionnel
" fait directement référence à une Église
particulière et, par conséquent, à une autorité
religieuse déterminée. Est confessionnel ce qui
dépend d'une Église, d'une autorité religieuse.
Plus précisément encore, " confessionnel "
fait référence à une confession de foi qui
a valeur normative. Le lien avec l'institution ecclésiale
est encore évident. Car la confession de foi est formulée
et proclamée par une Église. Elle peut être
aussi à l'origine d'une nouvelle Église ou d'un
nouveau groupe religieux. C'est ainsi que les protestants vont
parler de la Confession d'Augsbourg ou de la Confession de La
Rochelle.
Un enseignement confessionnel sera donc celui qui s'effectue dans la zone d'influence d'une Église, sous la dépendance d'une autorité religieuse, selon la norme d'une confession de foi. À la limite, l'enseignante ou l'enseignant devrait faire partie de l'Église, être directement soumis à l'autorité religieuse et faire profession de foi dans cette Église. Une telle confessionnalité stricte et dure n'est évidemment plus possible aujourd'hui. On peut encore imaginer cependant certaines formes adoucies. Car il y a enseignement confessionnel en ce sens partout où l'enseignement de la religion dépend de quelque façon d'une Église, d'une autorité religieuse, de croyances religieuses déterminées.
"Le nouvel enseignement culturel de la religion devra en même temps tenir compte de l'expérience religieuse, qui est celle de l'absolu, et de la réflexion scientifique, critique, qui fait apparaître le caractère relatif de cette même expérience, en montrant ses conditionnements historiques"
Mais on peut aussi entendre " confessionnel " dans un autre sens, un sens élargi, analogique. Non plus cette fois en référence à une institution et à une autorité religieuses, mais par rapport à une expérience religieuse et à une tradition religieuse. L'enseignement de la religion se trouve alors libéré de toute contrainte institutionnelle, indépendant de toute autorité religieuse. Il s'exerce cependant dans la mouvance et sous l'inspiration d'une expérience religieuse qui a laissé des traces dans l'histoire sous forme de tradition religieuse.
On évitera la confusion en réservant le terme " confessionnel " pour le premier sens, pour désigner un enseignement directement dépendant d'une institution et d'une autorité religieuses. On appellera alors " religieux " l'enseignement qui s'appuie sur l'expérience religieuse de l'humanité. Et comme toute expérience humaine est nécessairement déterminée dans le temps et le lieu, un tel enseignement religieux prendra nécessairement la couleur d'une tradition particulière, sans être soumis toutefois à une autorité religieuse déterminée.
Si la distinction que je viens de proposer a quelque sens, il s'ensuit une première clarification du terme " culturel " pour la question qui nous occupe. Dans un premier sens, un enseignement culturel de la religion désigne un enseignement non confessionnel, c'est-à-dire un enseignement indépendant de toute Église ou groupe religieux particulier, indépendant de toute autorité religieuse déterminée. Mais un tel enseignement culturel n'exclut d'aucune façon l'influence reconnue d'une expérience religieuse. En d'autres termes, un tel enseignement culturel peut aussi bien être un enseignement religieux de la religion.
Un enseignement non religieux ?
Tout différent est l'autre sens, où " culturel
" s'oppose, non plus à " confessionnel ",
mais à " religieux ". Un tel enseignement non
religieux de la religion est celui qui fait abstraction de toute
expérience religieuse, qui ne s'enracine dans aucune expérience
de la sorte, qui ne se situe dans aucune tradition religieuse.
C'est un enseignement qui considère la religion de l'extérieur,
de façon impartiale, purement objective. Parmi les tenants
de cette position des différences se présentent
cependant, selon les raisons qui les motivent.
La première raison est sans doute la nécessité d'une ouverture aux autres religions. Si l'on est déjà enraciné dans une religion, situé dans une tradition particulière, comment s'ouvrir aux autres, comment vraiment connaître les autres ? Mais on pourrait aussi bien inverser l'argument: si l'on ne peut se référer à une expérience religieuse personnelle, comment pourra-t-on comprendre celle des autres ?
Une autre motivation est plus spécifiquement académique, disciplinaire. On opte pour un enseignement culturel, non religieux, parce qu'on veut un enseignement scientifique des religions, parce qu'on tient les sciences des religions comme les seules approches valables. Or le souci scientifique de la connaissance fait taire tout souci proprement religieux. Encore là cependant, il faut dire que si les sciences des religions n'entendent pas se limiter aux phénomènes extérieurs, si elles prétendent considérer l'expérience religieuse, elles devront pour cela se référer à une certaine expérience personnelle. Ce qui signifie qu'elles ne peuvent être totalement séparées de la théologie, qui a elle-même comme spécificité de partir de l'expérience religieuse, de l'expérience de foi. Et l'on voit poindre ici un nouvel enjeu, proprement universitaire celui-là. Car le débat sur la place de la religion à l'école se double alors d'une autre querelle, celle de la théologie et des sciences religieuses à l'université.
Les deux positions qu'on vient de voir procèdent de motivations méthodologiques. Elles préconisent un enseignement non religieux des religions parce qu'un tel enseignement doit faire abstraction de sa propre expérience religieuse. Mais celle-ci n'est pas niée pour autant. Il en va autrement de la troisième position, qui affiche elle-même un athéisme non seulement méthodologique mais réel. L'attitude religieuse est alors considérée comme un vestige des temps anciens, comme un anachronisme au sein de la modernité. L'étude culturelle des religions se ramène alors au folklore, " la science des traditions, des usages et de l'art populaire d'un pays " (Petit Robert).
Quel type d'enseignement à l'école ?
Sur cette question de la place de la religion à l'école,
il y a donc toute une gamme de positions, qui vont de l'attitude
strictement confessionnelle à l'attitude strictement athée.
Et l'on doit bien reconnaître que le débat se trouve
le plus souvent polarisé d'après ces deux attitudes
extrêmes. Les tenants de la confessionnalité voient
dans l'idée d'un enseignement culturel de la religion une
expression de l'athéisme. Et ceux qui s'opposent à
une telle confessionnalité rejettent en même temps
tout enseignement tant soit peu religieux de la religion. La
question est alors de savoir s'il est possible de dépasser
ces deux positions extrêmes, s'il n'y aurait pas entre les
deux un quelconque moyen terme. D'après la lecture que
j'en fais, c'est cette voie qu'indique le rapport Proulx, et c'est
la direction qu'il nous faut suivre, en clarifiant encore les
options possibles.
La position confessionnelle n'est plus une telle option possible. Certains défendent le statu quo parce qu'il permet le choix entre l'enseignement catholique et l'enseignement de la morale. Mais en fait, seuls les catholiques peuvent jouir de ce privilège. Tous les autres sont renvoyés de l'autre côté, qu'ils soient protestants, juifs ou non croyants. Un tel régime éclate dès qu'on prend conscience du pluralisme religieux.
L'option non confessionnelle doit cependant être poursuivie jusqu'au bout. On ne doit pas s'arrêter à mi-chemin, en proposant de concéder le même privilège à d'autres Églises. Car cela ne peut tenir à long terme. Quelles Églises, quels groupes religieux auront droit à l'école ? Selon quelles normes ? Le seul critère quantitatif est manifestement insuffisant. Et l'on devrait nécessairement limiter le nombre des groupes admis. En fin de compte, le problème demeure entier.
Il n'y a donc pas d'autre solution viable qu'une totale déconfessionnalisation de l'enseignement. Cela signifie que l'école n'aura plus à se préoccuper des Églises et des groupes religieux. On supprime tout lien de dépendance avec les institution et les autorités religieuses. On n'aura donc plus à se soucier de savoir quelles Églises auront voix au chapitre, puisqu'aucune n'interviendra en tant que telle. Mais cela ne signifie pas qu'on rejette tout enseignement religieux de la religion. Car si les Églises comme telles n'ont pas droit de cité à l'école pour régler l'enseignement religieux, par contre, les expériences religieuses, les traditions religieuses, les symboles religieux constituent la source et l'objet de l'enseignement de la religion.
Nous sommes partis de la distinction entre institutions et autorités religieuses d'une part, expériences et traditions religieuses d'autre part. Toute la question est de savoir si cette distinction n'est valable qu'en théorie ou si elle peut être appliquée au fonctionnement de l'école. Les tenants de la confessionnalité soutiendront sans doute que, sans la surveillance des représentants de l'Église, l'enseignement de la religion est voué à toutes sortes d'aberrations. Ce n'est pas mon avis, pour deux raisons. D'abord, je fais confiance à la responsabilité des institutions scolaires, qui sont munies des instances nécessaires pour éviter les aberrations dans le domaine religieux comme dans les autres. Et puis, comme saint Paul au temps où l'institution ecclésiale n'existait pas encore, je crois à la puissance de la Parole de Dieu, qui peut faire son chemin sans la tutelle des Églises.
Le rapport Proulx n'a donc pas choisi la voie de la confessionnalité. Mais il n'a pas adopté non plus celle de l'athéisme et de l'irreligion. La solution aurait été beaucoup plus simple. Il aurait suffi alors de reporter la religion à l'enseignement de l'histoire, et d'en faire un chapitre de l'évolution spirituelle de l'humanité. On n'a donc pas voulu sortir la religion de l'école. Tout au contraire, pour y maintenir l'enseignement de la religion, on a cherché les nouvelles modalités qui pouvaient convenir à la situation présente. Pour cela, on a proposé un enseignement culturel de la religion.
Si les réflexions que je viens d'exprimer ont quelque signification, elles auront permis de préciser la nature de cet enseignement culturel. Il comporte effectivement une double modalité qu'il faut tenir ensemble, en tension dialectique. C'est, d'une part, un enseignement religieux, qui s'appuie sur l'expérience religieuse et les traditions religieuses. C'est aussi, d'autre part, un enseignement non religieux, pour autant qu'il adopte la voie d'une réflexion objective, scientifique et critique sur les religions. On pourra bien mettre l'accent sur l'une ou l'autre de ces approches selon les besoins du moment, mais on ne pourra jamais les séparer complètement l'une de l'autre. Car une présentation purement religieuse ne serait plus un enseignement mais une simple initiation religieuse. Par ailleurs, une considération purement objective n'atteindrait que l'extérieur du phénomène religieux, et elle n'aurait qu'un intérêt historique, folklorique. Le nouvel enseignement culturel de la religion devra donc en même temps tenir compte de l'expérience religieuse, qui est celle de l'absolu, et de la réflexion scientifique, critique, qui fait apparaître le caractère relatif de cette même expérience, en montrant ses conditionnements historiques.