14 octobre 1999 |
Une étude menée par trois économistes révèle que le programme de la CSST (Commission de la santé et de la sécurité du travail), qui indemnise les travailleurs blessés pendant leur convalescence, semble être utilisé comme substitut à l'assurance-chômage par une partie des travailleurs de la construction. Dans la dernière livraison de la revue scientifique Journal of Risk and Uncertainty, Bernard Fortin, professeur au Département d'économique et membre du Centre de recherche en économie et finance appliquées (CREFA), et ses collègues Paul Lanoie et Christine Laporte, rapportent trois éléments pour soutenir la thèse de la substitution.
Après avoir analysé les données se rapportant à 30 000 travailleurs de la construction, dont 6 000 accidentés, pour la période allant de 1976 à 1986, les chercheurs ont constaté qu'une augmentation des indemnités versées par la CSST s'accompagnait d'un accroissement de la durée des réclamations faites pour des problèmes de santé mineurs et difficiles à diagnostiquer. Ils ont aussi découvert qu'une diminution des primes d'assurance-chômage était suivie d'une augmentation de la durée des réclamations faites à la CSST pour des problèmes de santé graves et difficiles à diagnostiquer. Enfin, ils ont observé une forte influence de la période de l'année sur les réclamations faites à la CSST. En effet, la durée des réclamations pour des accidents qui surviennent en décembre, vers la fin de la saison active pour les travailleurs de la construction, couvre une période 21% plus longue que le mois de référence.
Denis Bolduc, Bernard Fortin, France Labrecque et Paul Lanoie ont refait les mêmes analyses en mesurant cette fois la fréquence des réclamations adressées à la CSST. L'article qui doit bientôt paraître sur cette question arrive exactement aux mêmes conclusions.
Aléa moral
Les auteurs n'écartent pas la possibilité que
ces résultats soient attribuables au fait que les prestations
de la CSST sont plus généreuses que les primes d'assurance-chômage.
Les indemnités versées par la CSST atteignent 90%
du revenu net. En raison de certaines subtilités de la
loi sur l'impôt (non-imposition des prestations et progressivité
du taux d'imposition), les travailleurs accidentés reçoivent
parfois des indemnités égales ou supérieures
à leur salaire net. Moins généreuses, les
prestations d'assurance-chômage atteignent entre 55% et
60% du revenu brut et elles sont imposables.
"Nous ne disons pas que les travailleurs se blessent volontairement, insiste Bernard Fortin. Mais, parce que les gens sont mieux assurés, il se peut qu'ils prennent moins de précautions et qu'ils courent ainsi plus de risques de se blesser. Le problème de la substitution n'est pas exclusif au programme de compensation de la CSST, c'est un aléa moral lié à tout programme d'assurance. Lorsque des gens ont un système d'alarme à la maison, ils sont moins enclins à ranger leurs bijoux dans un coffre-fort. Lorsqu'ils ont une bonne assurance domiciliaire, ils vérifient moins si la cuisinière est toujours allumée avant de sortir."
Avant d'être publiés dans le Journal of Risk and Uncertainty, la revue la mieux cotée dans le domaine du risque, les résultats de cette étude avaient été présentés dans un cahier du CREFA en 1996, provoquant du coup certains remous à la CSST. Depuis, un groupe de travail s'est penché sur le problème mais aucune modification majeure n'a été apportée au système. "Les analyses servant à établir les prestations maximales pour les programmes d'accidents de travail devraient considérer la possibilité de substitution aux autres programmes d'assurances", estiment les économistes Fortin, Lanoie et Laporte. Bernard Fortin croit également que les indemnités versées aux accidentés devraient être imposables, ce qui éliminerait un des effets pervers du programme. Enfin, il faudrait dresser une liste de médecins spécialisés en accidents de travail qui pourraient être consultés dans les cas litigieux, ajoute-t-il. Le Québec serait le seul pays au monde qui permet au médecin traitant du travailleur accidenté d'établir un diagnostic.
"Dans le contexte actuel, le système coûte plus cher et il n'est pas optimal", résume Bernard Fortin. L'adoption de modifications au programme de compensation des accidentés du travail n'est cependant pas chose simple puisque le Conseil d'administration de la CSST est composé, à parts égales, de représentants de syndicats et d'employeurs.