22 avril 1999 |
Depuis que les bombes de l'OTAN pleuvent sur Belgrade, le
président américain ne rate pas une occasion de
dénoncer les brimades et les tortures que les Serbes infligent
à la population civile du Kosovo. Pourtant, ce super-gendarme
planétaire, qui se présente volontiers comme l'exemple
à suivre lorsqu'il s'agit d'évoquer la démocratie
et les libertés, aurait tendance à tourner parfois
les coins ronds en matière d'initiatives internationales
concernant les droits humains. C'est en tout cas ce qui ressort
de la conférence donnée par Louis Bélanger,
le 15 avril dernier, et organisée par le groupe Amnistie
international de l'Université Laval. Ce professeur au Département
de science politique a mis en lumière la méfiance
des Américains, toujours soucieux de protéger leur
souveraineté, à l'endroit des grands traités
internationaux.
Petit rappel historique sous forme de promenade chiffrée. Selon le conférencier, il a fallu pas moins de 29 ans aux États-Unis pour ratifier en 1994 la Convention sur l'élimination de toutes formes de discrimination raciale, 26 ans pour adhérer en 1992 au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, et près de dix ans pour ratifier en 1994 la Convention contre la torture et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants. Et la ratification ne signifie pas pour les Américains une adhésion sans réserves. En effet, la plupart du temps, une série d'interprétations et de restrictions limitent la portée de ces traités internationaux. Louis Bélanger cite ainsi le Pacte international sur les droits civils et politiques qui prohibe en principe la peine de mort pour les mineurs alors que plusieurs États américains continuent à la pratiquer.
Autre fait important, les États-Unis parviennent parfois à bloquer la signature de traités internationaux sur les droits humains auxquels ils n'adhèrent pas. Des délégués américains participent en effet aux travaux préliminaires au sein de l'ONU, mais font obstacle au déroulement de la discussion car le consensus de tous les acteurs en présence est nécessaire. "De cette façon, ils ont réussi à s'opposer à la signature d'un traité sur les mines anti-personnelles lors de la conférence de 1996 du traité de l'ONU sur les armes conventionnelles", souligne Louis Bélanger. Du coup, certains pays ont décidé de contourner le problème en limitant les négociations aux États intéressés à ratifier un tel traité.
Effets pervers à long terme
Même si ce type de solution semble intéressant
à court terme, cela risque de développer un droit
international humanitaire qui maintient les États-Unis
en marge. La question de la légitimité et de l'efficacité
de telles ententes se pose alors sérieusement. Le conférencier
met ainsi en lumière le refus des États-Unis d'adhérer
à la Cour pénale internationale: "Si quelqu'un
est accusé par cette instance de crime de guerre, quel
pays aura les moyens d'aller le chercher en-dehors des Américains?"
Louis Bélanger se demande également quelles sont les conséquences de l'attitude unilatérale mise de l'avant par notre voisin du Sud. Certains remarquent, en effet, que si ce pays éprouve des difficultés à adhérer aux traités internationaux, il développe son propre système de contrôle du respect des droits humain. "Le Département d'État produit son propre rapport annuel sur la situation des droits humains dans d'autres pays, précise Louis Bélanger, et le Congrès peut alors initier certaines sanctions." Pourtant, le professeur de science politique reconnaît la limite de telles mesures, soumises aux aléas de la politique intérieure. Il suffit que le président américain déclare que l'intérêt national est en jeu, ou que des groupes de pression tentent d'influencer les membres du Congrès, pour que les sanctions prévues demeurent lettre morte.
De plus en plus, les États-Unis semblent donc s'isoler du reste du monde lorsqu'il s'agit de s'entendre sur certains traités touchant les droits humains. Mais cette réserve a parfois de bons fondements, remarque le conférencier, et les autres pays auraient avantage à s'interroger davantage sur certains projets. Il cite ainsi l'exemple de la Cour pénale internationale à laquelle les responsables américains refusent de collaborer car ils estiment que le droit international des personnes relève de pouvoirs publics responsables. Or, pour l'instant, une telle responsabilité politique internationale n'existe pas. "Sans responsabilité politique, le droit risque la politisation, fait valoir Louis Bélanger. Il peut donc être utilisé à des fins politiques, à courte vue, ou de manière absolue sans considérations d'ordre public." Pour bâtir un droit international des personnes vraiment efficace, il faudrait donc réfléchir à des moyens pour inclure les Américains dans la discussion plutôt que de les mettre à l'écart.