15 avril 1999 |
Idées
par Raymond Brodeur, professeur titulaire à la Faculté de théologie et des sciences religieuses
L'enjeu du Rapport Proulx n'est pas la place de la religion à l'école. Il concerne le sort que l'on veut faire à l'expérience religieuse même des enfants au coeur d'un projet éducatif.
Le Rapport Proulx a été divulgué au début de la Semaine sainte. Sur la base d'une réflexion de culture religieuse, la stratégie est pas mal. On sait, en effet, que cette semaine évoque, coup sur coup, des événements radicaux et sans retour qui passent de l'entrée triomphale de Jésus à Jérusalem à la Dernière scène, puis à la condamnation et à la mort de Jésus, chemin incontournable qui ouvre sur ce qui déborde le croyable d'un cerveau scientifique: la résurrection. Mais ne nous y méprenons pas, ces éléments de culture religieuse n'ont rien de magiques. Ce sont des lectures faites après coup, par des témoins qui voulaient témoigner de ce qu'ils avaient vu et entendu. Avant que ne soient achevés les événements, les apôtres et les autres témoins ont vécu la tourmente.
Le Rapport Proulx marque désormais un nouveau point de non-retour dans la réflexion des Québécoises et des Québécois sur le projet éducatif qui correspond à leurs aspirations, et plus particulièrement, sur la place de l'enseignement religieux dans ce projet. Le lancement du rapport ayant eu lieu devant caméra et sur Internet, le monde entier y a désormais accès. Nous sommes maintenant conviés, par le ministre de l'Éducation lui-même, à l'analyse, à la critique, peut-être même à la tourmente. Le rapport peut laisser croire que l'enjeu en est la place de la religion à l'école. Je crois qu'il est plus profond que cela. Il s'agit en fait du sort que l'on veut faire à l'expérience religieuse même des enfants au coeur d'un projet d'école. Ceci implique la conception que l'on se fait à la fois de la nature même de l'expérience religieuse d'une personne et la conception que l'on se donne d'une école. Veut-on une école pour l'enfant, ou le contraire? Et si on envisage le champ religieux, veut-on un enseignement religieux pour l'enfant ou le contraire?
Quand j'ai entendu monsieur Proulx dire publiquement à la télévision qu'aujourd'hui, "il y a bien des parents qui désirent l'enseignement religieux mais qu'ils sont fort rares ceux qui veulent que cet enseignement fasse de leurs enfants de bons petits chrétiens qui aillent à la messe à tous les dimanches", il a fort bien exprimé là une des ambiguités importantes qui risquent de biaiser son rapport. C'était là un cri du coeur de quelqu'un qui a probablement été témoin, sinon victime, d'une certaine manière dont a pu se vivre cet enseignement. Mais cela remonte à quand? Ce n'est certes pas ce que propose le programme d'enseignement religieux actuel. Et y a-t-il encore, au Québec, des enseignantes et des enseignants qui visent l'atteinte d'un tel objectif? Est-il raisonnable de prétendre qu'il y aurait même des responsables religieux qui caresseraient un tel projet? Mais peu importe, en disant cela, monsieur Proulx exprime à la face du public le sentiment d'une partie de la population. Cela donne à croire que c'est ce qui se passe. Parce qu'en effet, cela s'est passé, à l'âge où lui et moi étions à la petite école (Hé oui, moi aussi je réfléchis aujourd'hui à travers mes cheveux blancs). Cependant, il s'est passé aussi bien d'autres choses! Mais enfin, restons-en à ce point.
Un document politisé
Ce qu'évoque monsieur Proulx sur une certaine pratique de l'enseignement
religieux reflète des réalités qui sont dans l'ordre
des sentiments et des perceptions. Çà, c'est ancré
profond! Il ne suffit pas ici de dire c'est vrai ou c'est faux et de se
lancer des cailloux d'un bord à l'autre de la ruelle, mais il importe
de trouver des voies pour apporter des clarifications, à commencer
peut-être par quelques visites dans des classes du primaire où
des enseignantes et des enseignants ont des objectifs d'enseignement religieux
passablement plus éducatifs que militantistes.
Dans la même ligne de pensée, le Rapport Proux se présente comme un boulevard royal pour une nouvelle étape de réflexion et de décision au regard de la religion dans les écoles du Québec. Ce rapport est l'amorce d'un débat auquel il convie la population. En cela il est fort précieux. Mais il est d'emblée si politisé et si imbu de l'idéologie laïciste qu'il peut facilement provoquer la montée aux palissades plutôt que d'ouvrir sur une réflexion sérieuse et mûrie. Une telle affirmation n'est pas un point de vue arbitraire, mais le résultat d'une première analyse. Pour bien me faire comprendre, je ne ferai ici qu'attirer l'attention sur le titre et l'avant-propos du mémoire.
Lisons attentivement le titre du rapport: Laïcité et religions. Perspective nouvelle pour l'école québécoise. On est d'emblée positionné devant un binôme: "Laïcité et religions". À remarquer que le mot laïcité est au singulier et le mot religion au pluriel. Comment lire le "et": une alliance ou une confrontation? Gardons la question dans notre besace. Le pluriel accolé au mot religion est sans doute évocateur des diverses modalités d'expressions de l'expérience religieuse qui se passent au Québec. Un clin d'oeil tout à fait justifié au pluralisme de notre société. En revanche, le mot laïcité est au singulier. N'y aurait-il qu'une unique modalité d'expression de l'expérience de laïcité au Québec? Une laïcité une, universelle (des qualificatifs qui rappellent autre chose, mais je m'excuse, sur un plan strictement méthodologique, cela n'est plus de l'analyse du discours mais du commentaire).
Le sous-titre annonce une perspective nouvelle pour l'école québécoise. À la croisée des chemins où se trouve le Québec, nul ne remettra en doute la nécessité de réfléchir sur une perspective nouvelle. Mais encore faut-il qu'il s'agisse bien d'une perspective, c'est-à-dire d'un point de vue qui ouvre sur quelque chose qui puisse aller chercher l'assentiment d'un certain nombre d'individus. Dans le cas présent, il ne faut pas perdre de vue qu'il s'agit de l'éducation des générations montantes. Une éducation qui implique à la fois la transmission de ce que l'on estime être le meilleur de nous-mêmes et aussi de ce qui est le plus susceptible de permettre à ces jeunes de se développer de la façon la plus harmonieuse possible.
"Religion" er "religions"
Passons maintenant à l'avant-propos. Quelques éléments
font sourciller. Tout d'abord, on ne parle plus des religions, mais bien
de la religion au singulier. Il n'est donc plus tant question des modalités
d'expressions de l'expérience religieuse, mais d'une saisie globale
de la religion dans un horizon théorique ou idéologique. Face
à ce monôme, le second devient, remarquez bien le qualificatif,
la laïcité ouverte. Ici, le non-dit ressort avec force: la
laïcité ouverte se présente comme alternative à
la religion "fermée". Le dernier paragraphe de cet avant-propos
est on ne peut plus clair et enlève toute illusion à quiconque
se serait laisser séduire par l'annonce de la "nouvelle perspective"
annoncée en sous-titre du titre: "Cette perspective est celle
de la laïcité ouverte". Voilà! Tout est joué!
Et tout au long des 280 pages qui suivent, tout ce qui sera retenu pourra
servir à justifier, non pas cette hypothèse, mais cette prise
de position.
Le ministre annonce maintenant une commission parlementaire. D'une part, il est fort important que l'ensemble des Québécois et des Québécoises prennent au sérieux ce qui va se passer là. Non pas pour aller encenser ou démolir un rapport, somme toute fort simple à interpréter, mais pour chercher à cerner mieux de quoi il est question au juste. Non pas sur un plan strictement sociologique ou démographique, mais sur un plan anthropologique et psychopédagogique. Après tout, il s'agit bien du monde de l'école, du lieu de l'éducation de nos générations montantes. Ce lieu d'éducation n'a certes pas à former des petits chrétiens qui doivent aller à la messe à tous les dimanches, mais des garçons et des filles qui ont et auront toute leur vie à se situer comme sujets humains et à partager avec d'autres leur héritage culturel, leur idéal d'authenticité (suivant l'expression de Charles Taylor) pour un monde plus juste, plus équitable, plus heureux. Espérons que le ministre de l'Éducation aura la sagesse de nommer à la commission parlementaire des commissaires épris d'idéal, sensible à une anthropologie religieuse d'où l'homme n'est pas absent, sans être des idéalistes, et davantage attentifs aux significations de l'expérience religieuse qu'aux idéologies nivelantes.