4 février 1999 |
D'AUTRES ÉCONOMIES À FAIRE
Monsieur le Recteur,
J'ai pris connaissance, comme la plupart de mes collègues, des mesures que vous et le Conseil d'administration de l'Université Laval avez décidé d'appliquer pour éliminer une partie du déficit. Je me réjouis que l'on se décide (enfin!) à administrer, selon les moyens dont nous disposons maintenant, cette boîte de Pandore qu'est devenue notre université. Toutefois, Monsieur le Recteur, malgré tout le respect que je vous dois, permettez-moi de vous douter de plusieurs de ces mesures.
Je déplore d'abord une omission (volontaire?) dans vos décisions: celle de ne pas donner l'exemple en coupant aussi (et en premier lieu) dans la haute administration, secteur qui, vu d'en bas, semble encore très (trop?) bien graissé. C'est ma première suggestion: commencer par couper en haut de la pyramide pour ne pas affecter la base de cette même pyramide, qui risque autrement de s'effriter et de tout faire basculer dans le vide. En agissant ainsi et en réduisant le nombre et les salaires des administrateurs, dont certains gagnent plus cher que notre premier ministre et les ministres de son cabinet, vous donnerez l'exemple et sensibiliserez plus facilement les employé-e-s de la base.
Vous souhaitez ensuite augmenter le nombre d'étudiantes et d'étudiants aux 2e et 3e cycles, car les diplômes émis par la Faculté des études supérieures sont plus payants au niveau des subventions gouvernementales que les diplômes de premier cycle. Soit! Mais je vous rappelle ce que vous savez déjà. L'Université Laval, plus vieille université francophone d'Amérique, a perdu, cette année seulement, une bonne cinquantaine d'étudiantes et d'étudiants africains au profit de l'Université de Moncton, faute de ressources ici pour les encadrer adéquatement (et sérieusement) dans leurs travaux de maîtrise et de doctorat (en francophonie, en particulier). Quatre professeurs assuraient cet encadrement dans mon département (celui des littératures) et dispensaient les cours de littérature francophone, de littérature comparée, de même que les cours de civilisation française et de civilisation québécoise (au programme de français langue seconde). Trois de ces professeurs ont pris leur retraite et n'ont pas été remplacés. Une telle décision compromet maintenant nos programmes de baccalauréat et de majeure en littératures française et québécoise, car nous ne pourrons plus assurer ces cours, qui nous ont été demandés à la suite des enquêtes réalisées dans le cadre de l'opération de l'évaluation périodique des programmes, que j'ai moi-même présidée, il y trois ou quatre ans. On veut attirer de nouveaux étudiants, mais on coupe dans les postes de professeurs, on augmente considérablement le nombre de directions de mémoires et de thèses, donc la tâche des professeurs dont plusieurs sont déjà surchargés? Dans mon département, il y a des professeurs qui, en plus de leur enseignement et de leur recherche, en plus des comités, en plus d'une tâche administrative, dirigent pas moins de 15, voire 20 mémoires de maîtrise et thèses de doctorat. Et l'étudiante et l'étudiant, dans tout cela? Est-ce vraiment sérieux ?
La situation est aussi désespérante dans le programme de baccalauréat en français langue seconde et dans celui de l'enseignement du français langue seconde. Comment notre université peut-elle laisser aller, avec presque contentement, sans offrir les ressources nécessaires, deux programmes qui ont fait sa gloire et sa renommée? Et on va tout abandonner au profit de l'Université McGill? Le programme de français langue seconde porté à bout de bras par une professeure qui vient de prendre sa retraite est menacé. Faut-il le faire disparaître? Pourquoi le recteur que vous êtes ne tenterait-il pas de s'entendre avec les autres recteurs pour continuer, mais avec encore plus de sérieux, la réflexion sur une meilleure répartition des programmes au sein des universités québécoises. Le Québec a-t-il le moyen de se payer quatre facultés de médecine, deux ou trois facultés d'art dentaire, trois ou quatre facultés de philosophie, autant de facultés de théologie? Connaissant la situation de l'emploi, pourquoi autant de programmes d'éducation physique, de sciences sociales, d'études anciennes, d'apprentissage des langues, etc., etc.? Poser la question, c'est y répondre. Il y a là d'importantes économies à réaliser. En procédant rapidement à une telle opération, le premier ministre du Québec ne pourra plus alors exiger le ménage dans nos universités. C'est là que le bât blesse !
Un autre endroit où il est possible de faire de réelles économies, c'est de revoir le mode d'attribution des années sabbatiques, que l'on distribue dans nos facultés et nos départements au gré des demandes des professeurs, pourvu que cette demande soit accompagnée d'un projet. L'année sabbatique, qui doit être conservée, pour assurer le perfectionnement des professeurs dans leur discipline, doit être méritée, à mon humble avis. Pour mieux vérifier et assurer une meilleure équité dans les tâches des professeurs, pourquoi ne pas instaurer un système de pointage, comme cela se fait ailleurs, en fonction du travail effectué. Des points sont alloués pour l'encadrement d'une thèse de doctorat ou d'un mémoire de maîtrise, au moment du dépôt final, pour une tâche administrative, pour un article dans une revue savante, pour une subvention de recherche obtenus des organismes subventionnaires, etc. Quand il a atteint le nombre de points requis, le professeur a alors droit à une année sabbatique pourvu qu'il présente un vrai projet, dûment contrôlé au retour, sous peine de remboursement des sommes obtenues. Une telle politique aurait fait des ravages dans plusieurs départements, écoles ou facultés. Le déficit serait, aussi, moins élevé.
Vos propositions, Monsieur le Recteur, sont accompagnées, enfin, d'une mise en garde: les employés acceptent vos propositions ou vous couperez dans les salaires de tout le monde, sans discernement! J'y vois, bien sûr, une forme de chantage, surtout à l'approche de la renégociation de nos conventions collectives. Le personnel enseignant de mon département a été amputé du tiers en cinq ans. La situation est si critique que plusieurs se demandent si on pourra continuer à assurer tous nos programmes. Comment alors accepter le gel de postes de professeur? En coupant sans discernement dans les salaires, vous augmenterez aussi l'iniquité au sein de vos employé-e-s. Car je considère, comme d'autres dans ma situation, avoir déjà donné, de la même manière que certains départements et certaines facultés ont déjà aussi beaucoup donné en ayant fait leur ménage et procédé à une série de coupures qui font de plus en plus mal, voire très mal.
En mettant votre menace à exécution, Monsieur le Recteur, en touchant au salaire de gens comme moi, qui ai commencé à recevoir un salaire décent en 1984 seulement, à 39 ans, vous contribuerez assurément à démotiver des employé-e-s qui, contre vents et marées, ont eu à coeur jusqu'ici le bien-être des étudiantes et des étudiants.
Veuillez agréer, Monsieur le Recteur, l'expression de mes meilleurs sentiments.
DES MESURES TRANSITOIRES ET RÉTROGRADES
La haute direction (THA) a conçu et fait adopter par le Conseil d'administration un plan de rétablissement de la situation financière caractérisé par sa nature transitoire, sa vision rétrograde et ses conséquences négatives pour l'avenir de l'Université Laval. Le plan repose essentiellement sur une augmentation peu réaliste des clientèles des 2e et 3e cycles, alors que le corps professoral est de plus en plus surchargé, en moins grand nombre et plutôt vieillissant. Malgré un potentiel extraordinaire, l'accroissement des revenus de la formation continue s'avérera difficile en raison des mesures peu visionnaires prises par l'actuelle THA qui a eu pour effet de décourager les facultés qui avaient le mieux réussi dans ce secteur. Les doyens et les professeurs seront très hésitants avant d'engager leur faculté dans cette voie exigeante.
Le plan repose en outre sur des congés de contribution aux caisses de retraite, mesure transitoire et peu créative. Enfin, la THA laisse entrevoir des mesures rétrogrades et démotivantes de coupures salariales, alors que les meilleurs éléments quittent déjà l'Université, incapable d'offrir des conditions compétitives. L'Université devrait plutôt adopter des mesures originales et encourager son personnel en envisageant des augmentations de salaires.
Au lieu de recourir à des mesures transitoires de congé de contribution, l'Université et le SPUL auraient avantage à étudier la possibilité d'utiliser les surplus actuariels de la caisse de retraite et à négotier, si nécessaire, des contributions accrues des parties pour assurer une pension complète à tous les professeurs après 25 ans de contribution. La très grande majorité des professeurs ont donné le meilleur d'eux-mêmes et méritent une pension complète après avoir consacré de cinq à dix années aux études graduées et post-doctorales, puis avoir oeuvré avec passion pendant 25 ans en milieu universitaire. Cette mesure permettrait à l'Université d'offrir des conditions adéquates de départ à près de 500 professeurs au cours des cinq prochaines années, de réaliser d'importantes économies permettant l'élimination du déficit et l'engagement de 300, voire 400 jeunes professeurs. Une étude actuarielle sérieuse est nécessaire, mais c'est le concept qu'il faut retenir. Voila possiblement une solution gagnante ou étudiants, professeurs, Institution et Société sortiraient gagnants.
Cette mesure aurait un impact positif sur la recherche et la formation d'étudiants gradués. Elle permettrait en outre de dégager des sommes importantes pour l'engagement de chargés de cours compétents tant pour l'enseignement régulier, que pour le développement de la formation continue. L'engagement de plusieurs jeunes professeurs permettrait des développements dans des domaines stratégiques et porteurs d'avenir pour la société québécoise et "transporterait littéralement" l'Université dans le prochain millénaire dans un contexte positif et structurant. Avec un peu de créativité, l'Université pourrait conserver l'expertise des professeurs retraités en les encourageant à poursuivre leur recherche ou en leur offrant de participer à l'enseignement et à la formation continue.
Au lieu des coupures salariales plutôt rétrogrades, l'Université et les syndicats devraient négotier des augmentations de salaires en contrepartie d'une exclusivité d'emploi pour les professionnels et les professeurs. Ces derniers consacreraient ainsi 100 % de leur talent aux affaires universitaires plutôt que, trop souvent, le meilleur d'eux-mêmes aux firmes légales, médicales, comptables, ou conseils...
La THA démontre peu de vision en voulant préserver à tout prix tous les secteurs d'activités. Aucune organisation moderne n'a les moyens de maintenir toutes ses divisions, même les plus faibles et les moins pertinentes, dans un contexte aussi compétitif et évolutif. L'Université Laval se place ainsi dans une situation de faiblesse.
L'Université doit profiter de la mise à la retraite d'une part importante de son corps professoral pour initier une démarche de rationalisation et mettre en place un véritable plan stratégique. Il faut profiter du travail de la Commision des universités sur les programmes (CUP) et investir dans nos secteurs forts et délaisser ceux pour lesquels nous ne disposons plus des ressources nécessaires. Les autres composantes du réseau universitaire québécois emboîteraient le pas. Si elles ne le faisaient pas ou décidaient de récupérer nos "canards boiteux", ils seraient davantage perdants. Par ailleurs, il est temps de faire le ménage dans les unités administratives qui ne disposent plus de la masse critique minimale pour offrir des formations de qualité et rayonner au niveau national et international. Tous les membres de la communauté universitaire souhaitent oeuvrer dans des unités performantes et en croissance, dont le climat de travail est positif et stimulant.
Les étudiants québécois paient les droits de scolarité les plus bas en Amérique du Nord, mais ils sont les grands perdants de notre inefficace système d'éducation post-secondaire. En effet, ils doivent consacrer cinq ou six années d'études post-secondaires pour obtenir un baccalauréat, soit une ou deux de plus qu'ailleurs dans le monde. La majorité des étudiants accepteraient des droits de scolarité accrus, s' ils obtenaient leur diplôme plus rapidement. Les étudiants pourraient s'acquitter plus facilement de leur dette en s'intégrant au marché du travail à 21 ou 22 ans, plutôt qu'à 23 ou 24. Les employeurs bénéficieraient d'une main-d'oeuvre qualifiée et dynamique qui leur permettrait de générer davantage de richesse collective. Notre système "cégep-université" a été très utile, mais il est devenu inefficace et il doit être réformé en profondeur pour répondre aux impératifs du prochain millénaire. Malheureusement, nos étudiants perdent trop de temps sur les bancs d'école, alors que l'avenir est de toute façon à la formation continue. Les étudiants, l'Université, les employeurs et le Gouvernement sortiraient tous gagnants d'une réforme en profondeur réduisant la durée des études.
Le statu quo proposé et défendu par notre THA ne constitue qu'une mesure transitoire qui ne génère pas de conditions gagnantes. La stratégie actuelle de nos dirigeants universitaires et de nos leaders étudiants, qui ne consiste essentiellement qu'à quémander du financement gouvernemental additionnel, ne conduit pas à un avenir meilleur. L'État québécois est actuellement trop endetté et trop pauvre pour résoudre les immenses problèmes des universités par un simple financement additionnel.
À LA MÉMOIRE DE RAYMOND LAMONTAGNE
Notre collègue Raymond Lamontagne, du Département d'informatique, n'est plus parmi nous, emporté par un malaise cardiaque aussi soudain qu'imprévu. Le décès d'un collègue de travail, avec qui nous avons partagé tant d'années pionnières en informatique, est toujours très bouleversant et douloureux. Raymond était présent et se faisait entendre dans la vie départementale et cela depuis près de 25 ans. Parfois taquin et tantôt provocateur, ses idées sur l'enseignement et la finalité de la formation universitaire nous interpellaient régulièrement. Que de discussions suscitées par son questionnement sur les programmes et les cours qui révélaient un grand intérêt pour les jeunes et une profonde et sincère préoccupation pour leur cheminement professionnel. Plusieurs générations d'étudiants et d'étudiantes du Québec, mais aussi de tous les pays - dont ceux de l'Afrique avec qui il se plaisait à discuter et pour lesquels il avait une grande écoute - se souviendront de Raymond Lamontagne comme d'un professeur disponible, un brin taquin, affable et disposé à donner le meilleur de lui-même pour les aider à surmonter leurs difficultés dans les études et dans leur vie étudiante.
La mer, il l'aimait passionnément, même durant l'hiver lorsque le mercure frôlait les -30! Le thème rassemblait les collègues de plusieurs départements passionnés de navigation. Son épouse Denise et lui rêvaient de voyages et d'une vie pastorale à la campagne. Raymond a quitté son port d'attache trop tôt, mais le souvenir du professeur et de l'ami que l'on surnommait affectueusement le Capitaine Bonhomme restera longtemps dans l'imaginaire départemental. Raymond, bon voyage et veille sur tes matelots à qui nous transmettons nos sympathies les plus sincères.
LE MEILLEUR SYSTÈME DE SANTÉ AU MONDE?
Ceux qui disent que le système de santé se porte bien, c'est qu'ils n'en n'ont pas besoin et sont flamboyants de santé. Pour les malades, les vrais, il y a un système d'attente qui crée angoisse, inquiétude et stress envahissant. J'ai eu l'occasion de vérifier la réalité quotidienne et nocturne de notre système. Mes remarques ne s'adressent nullement au personnel hospitalier pour qui j'ai une immense admiration. Mes remarques s'adressent à ceux qui, en quelques mois, ont démoli un système qui était, dit-on, le meilleur en Amérique...
À l'Hôpital X je me suis présentée un après-midi. Déjà, de 15 à 20 personnes attendaient patiemment, c'est le cas de le dire. Et j'entendais régulièrement: "Monsieur X, salle des prélèvements", "Madame Y, salle des prélèvements", Mlle Z, salle des prélèvements". Je pensais: avec les nombreux CLSC créés dans tout le Québec, pourquoi ne pas leur confier les prélèvements, et par ricochet le soin des grippes, des diarrhées et autres petits bobos? Ainsi, on diminuerait de beaucoup l'engorgement, et les hôpitaux s'occuperaient des cas sérieux.
Une nuit, je me suis présentée, il y avait encore une douzaine de personnes qui attendaient à l'urgence. Le médecin qui m'a examinée semblait très fatigué. Il bâillait en écrivant ma prescription et en prenant des notes. Je voulais voir un ophtalmologiste, la préposée m'a dit: "Ça va aller en février, car nous sommes débordés. Trois médecins ont pris leur retraite (dont le mien) et n'ont pas été remplacés. De plus il y a une pénurie d'ophtalmologistes au Québec. C'est ce qui manque le plus actuellement. Il y a un ophtalmologiste qui fait le tour des hôpitaux." Maintenant, ce sont les médecins qui deviennent itinérants...
Ce qui m'a surprise, étonnée, stupéfaite, c'est de voir les "bien portants" prendre les bannières, lors des dernières élections, pour louanger notre SUPER système qui est, dit-on, parfait, et même supérieur aux autres... Et les Québécois ont "fait confiance" en réélisant le gouvernement qui a coupé et continue de couper encore dans les services.
Attention, ceux qui font aujourd'hui les louanges du système seront peut-être ceux qui demain en auront un urgent besoin. Quoique s'ils se situent dans les gens "à l'aise" ayant de bonnes connections, il n'y a pas de problème. Pour les autres, bonne chance! Le système de santé, est-il à ce point accessoire qu'on se permet de piger dans ses budgets pour atteindre du supposé déficit? Que ceux et celles qui sont capables de nommer des pays dont les dettes sont toutes payées, et qui n'ont aucun déficit, se fassent connaître? Existe-t-il, à part l'Arabie saoudite, des pays dans le vaste monde qui n'ont aucune dette?