16 avril 1998 |
Les évaluations réveilleraient le syndrome du "mieux-vaut-plus-tard-que-maintenant".
Les étudiants qui ont des prédispositions à la procrastination expriment leur mauvaise habitude dans toute sa force lorsqu'ils savent que le travail à accomplir fera l'objet d'une évaluation. C'est ce que révèle une étude réalisée auprès d'un groupe d'étudiantes du premier cycle par la professeure Caroline Senécal de l'École de psychologie et par ses deux collègues montréalais Kim Lavoie et Richard Koestner. "La procrastination est un problème de motivation qui dépasse la simple gestion du temps ou la tendance à la paresse, dit la professeure. Il s'agit plutôt d'un comportement d'évitement qui met en cause les motivations des individus et la crainte de l'échec. Lorsque les personnes qui ont une forte tendance à la procrastination savent qu'elles seront évaluées, leur anxiété et leur faible estime de soi sont ravivées, elles se remettent en question ce qui les entraîne dans le cercle vicieux de la procrastination."
Les chercheurs ont placé 58 étudiantes en psychologie ayant le même niveau de motivation envers leurs études dans une situation expérimentale propice à la manifestation de la procrastination. Les participantes disposaient d'une heure pour compléter, sur ordinateur, quatre exercices reliés à leur domaine d'études. Ces tâches avaient été pensées pour en arriver à quatre combinaisons d'intérêt et de complexité. Elles devaient aider un gardien de but de 8 ans malheureux d'avoir fait perdre son équipe de soccer (tâche simple et intéressante), conseiller les parents d'une jeune femme qui souhaitait annoncer son homosexualité à sa famille lors d'une grande réunion de famille (tâche complexe et intéressante), reformuler les phrases d'un questionnaire (tâche simple et ennuyeuse), raccourcir et simplifier un rapport d'évaluation psychologique mal rédigé (tâche complexe et ennuyeuse).
La moitié des participantes étaient avisées que ce test servait à évaluer leurs compétences pour être admises aux études supérieures. L'autre moitié des étudiantes savaient qu'il n'y avait pas d'évaluation. Les chercheurs ont ensuite minuté le temps pris par chaque participante avant de commencer la tâche complexe et ennuyeuse, ce qui constituait la mesure de procrastination. Après ce test, chaque étudiante devait compléter un questionnaire servant à évaluer sa propension à la procrastination.
Les résultats, rapportés dans le dernier numéro du Journal of Social Behavior and Personality, indiquent que 45 % des participantes ont choisi de reporter en tout dernier lieu la réalisation de l'exercice difficile et ennuyeux. En limitant l'analyse aux étudiantes montrant une forte tendance à la procrastination, les chercheurs ont découvert que celles qui se pensaient évaluées ont mis trois fois plus de temps que les autres avant de commencer l'exercice difficile-ennuyeux. À l'opposé, les chercheurs n'ont observé aucune différence chez les étudiantes peu enclines à la procrastination.
Depuis quelques années, la peur de l'échec est considérée comme le facteur clé dans le phénomène de la procrastination mais la motivation semble encore plus importante, a révélé une autre étude de Caroline Senécal. "Les gens dont la motivation provient de leur curiosité et de leur intérêt pour un sujet ont peu tendance à procrastiner. À l'opposé, ceux qui travaillent uniquement en fonction des résultats, pour obtenir leur diplôme, par peur de déplaire à leurs parents ou de se retrouver sans emploi auront davantage tendance à procrastiner."
La procrastination serait monnaie courant en milieu universitaire puisqu'environ 70 % des étudiants en seraient victimes. Le phénomène se manifesterait surtout au moment d'écrire un travail long ou d'étudier pour un examen. Si la procrastination est un phénomène si répandu à l'université, c'est peut-être parce que les étudiants sont continuellement confrontés à des évaluations, estime la professeure.
La situation des procrastinateurs n'est pas désespérée pour autant, poursuit-elle. "On peut se défaire du problème en identifiant les raisons pour lesquelles on veut étudier, en réalisant l'importance des tâches à accomplir et en abordant le travail en fonction de notre intérêt et de notre développement personnel plutôt qu'en fonction de la performance. Il faut aussi se retrouver dans un environnement qui favorise ce changement d'attitude. Les professeurs, la famille et les amis ont un rôle à jouer pour aider les procrastinateurs à se défaire de leur habitude."