16 avril 1998 |
SAINT GEORGES ET LE DRAGON
Pour des centaines de millions d'hommes et de femmes qui vivent dans des pays souverains, l'indépendance nationale apparaît comme un bien, une normalité. Pour le peuple québécois, ce serait une maladie. C'est contre celle-ci que le jeune chevalier Charest a reçu de son suzerain d'Ottawa et de ses bailleurs de fonds la mission de prémunir les pauvres Québécois enclins à rêver de liberté et de grandeur.
La gravité du virus serait telle que sa seule évocation rend malade. On aurait pu penser par exemple que le chômage, la pauvreté qui frappe un enfant sur cinq au Canada, des paralysies administratives coûteuses, les menaces qui pèsent sur la langue française et la culture québécoise étaient les syndromes d'un fédéralisme dysfonctionnel, inefficace et dominateur. Eh bien non, paraît-il. La vraie cause en serait le rêve d'indépendance, qui telle une mauvaise pensée empoisonnerait les esprits et les coeurs. Ainsi a diagnostiqué le chevalier frisé.
Un seul homme serait porteur du virus. Peu importe que plus de deux millions et demi de Québécois aient voté OUI en 1995, dont 60 % des francophones, ça ne veut rien dire. Le seul problème, c'est Lucien Bouchard, c'est lui le dragon méchant que notre saint Georges fédéraliste va terrasser avec l'épée de son verbe bilingue et sa rhétorique creuse. Fini le dragon, fini le problème. La maladie qui menace le peuple québécois disparaîtra ensuite par enchantement. Les gens comprendront que le bonheur est dans l'écuelle à beurre et le petit pain de la résignation. Fin pédagogue, Stéphane Dion saura leur expliquer ces choses avec les mots qu'il faut.
Mais si ce plan B+ ne donnait pas les résultats attendus, on fait quoi?
MENSONGE ET RECHERCHE DU FRIC
Le 18 mars dernier, nous avons assisté à une conférence présentée par quatre "spécialistes" de la région des Grands lacs africains. À la suite de la fausseté que voulaient faire avaler les conférenciers aux ignorants de la situation, la tension est montée jusqu'au point où les questions posées n'ont pas pu trouver de réponses. Les organisateurs avaient préféré allouer plus de trois quarts du temps aux exposés et moins d'un quart seulement aux questions alors qu'il y avait plus de 200 personnes dans la salle qui voulaient amèrement des clarifications sur certaines questions. C'est dans cette perspective que Pascale Guéricolas rapporte cette conférence dans le Fil du 26 mars, avec un peu de sel pour encourager des mensonges dont la société québécoise a longtemps été victime.
Guéricolas écrit: "Selon Colette Braeckman, la conférencière et correspondante du journal belge Le Soir, c'est l'instabilité dans la région des Grands lacs qui a d'abord permis l'écroulement du régime de Mobutu, que la journaliste qualifie de plus ancienne dictature d'Afrique". Je me demande si cette spécialiste s'est posé des questions sur les origines de cette instabilité. Sinon, pourquoi elle ne l'a pas fait? Quant au régime de Mobutu, il était déjà au bout de son règne. Mobutu était déjà essoufflé non seulement par la maladie, mais aussi par les forces d'opposition. Encore une fois, le Congo-Zaïre a raté son rendez-vous. Ce n'est pas la première fois qu'un coup d'État est organisé dans ce pays juste avant les élections libres et démocratiques. Il aurait été mieux que nos soit-disant spécialistes se penchent sur la question des organisateurs de ces coups d'État, plutôt que d'esquiver cette question en évoquant le nationalisme ethnique.
"Les populations autochtones zaïroises ont difficilement accepté l'afflux d'aide internationale vers les camps des réfugiés alors qu'elles-mêmes manquaient de tout", mentionne l'auteure de l'article Manchettes et machettes. Si la population manque de tout, comment expliquer le rapport de la CIA selon lequel circulaient plus de 80 millions de dollars américains entre Baraka et Goma juste avant la "fausse guerre" de libération ou de revendication de la nationalité (selon des ressortissants rwandais qui résident au Congo-Zaïre)?
"Selon Colette Braeckman, la guerre déclenchée dans le Nord-Kivu s'explique donc en grande partie par la nécessité de voir les réfugiés rentrer chez eux au Rwanda." Avec de telles analyses, je me demande si la thèse de la revendication de la citoyenneté tient toujours. Selon plusieurs stratèges zaïro-congolais, il était difficilement acceptable pour le pouvoir de Kigali de laisser plus d'un million d'opposants en exil, et surtout aux frontières. Et c'est par la bénédiction des multinationales minières que le régime de Kigali a réussi à diminuer un grand nombre des Hutu, considérés moins humains que les Tutsi par la communauté internationale. Donc, leur mort importait et importe actuellement peu.
Là encore je reviens sur les origines de cette "fausse guerre" dont on a voulu faire passer plusieurs thèses ridicules. Dans Drame zaïrois: le rôle sordide des multinationales minières, Steinberg Jeffrey écrit: "Dans cette région, les compagnies canadiennes, britanniques et sud-africaines manoeuvrent pour s'emparer des énormes richesses minérales, une fois que l'attention sur le génocide actuel ne fera plus la une des journaux. Le Kivu (que revendiquent les Rwandais) est considéré comme le grenier du pays, disposant d'énormes réserves de gaz naturel et de pétrole [...] fût-ce au prix de millions d'Africains". Parmi ces compagnies, cet auteur cite Barrick Gold Corporation avec comme dirigeants George Bush et Brian Mulroney. Colette Braeckman est-elle au courant de cette situation ou fait-elle semblant de l'ignorer pour promouvoir une fausse cause?
C'est en cherchant des réponses à toutes ces questions et en constatant le mensonge qui s'est déjà répandu ici au Canada sur la situation au Congo-Zaïre, au Rwanda et au Burundi que la conférence s'est terminée en queue de poisson. Pour mieux connaître une société, il faut nager dans la population comme un poisson dans l'eau et non pas rester dans un hôtel de quatre étoiles pendant six mois et fréquenter la haute classe pour se taper le luxe de s'appeler spécialiste de la région. Faut-il accepter l'opinion de quelqu'un qui vient avec un bon discours? Est-ce que la région des Grands lacs africains n'est pas devenue une marque de commerce profitable à tout margoulin démagogue qui veut soutirer de l'argent auprès des esprits naïfs ?
À LA RECHERCHE DE NOTRE EMPLOYEUR DEPUIS 8 ANS!
Au lendemain d'une décision de la Cour supérieure réaffirmant le fait que l'Université Laval est bel et bien l'employeur des professionnelles et professionnels de recherche travaillant sur le campus nous aimerions faire part de quelques réflexions portant sur ce dossier.
Rappelons tout d'abord que les professionnelles et professionnels de recherche participent activement à la mission de recherche de l'Université: de la demande de subvention, en passant par la conception de montages expérimentaux et par la cueillette et l'analyse des données, jusqu'à la rédaction du rapport de recherche et souvent de l'article scientifique. Dans les centres de recherche, il arrive que nous ayons un rôle de coordination des équipes de recherche.
Après avoir essuyé le refus catégorique de l'Université Laval à la fin des années 80 de nous reconnaître en tant qu'association de travailleurs, nous avons choisi de transformer notre association en syndicat pour amener l'Université à nous reconnaître. À l'automne 1996, le commissaire du travail a ordonné le vote des professionnels possédant un contrat d'engagement avec l'Université Laval (principalement des gens sur le campus) pour vérifier le caractère représentatif de notre syndicat. Le résultat a été éloquent: 73 % des salariés se sont exprimés en faveur de la syndicalisation. Le taux de participation a été de plus de 90 %. Quant à nos collègues qui travaillent dans les centres de recherche hors campus, leur dossier se trouve toujours devant le commissaire du travail.
Depuis les débuts des démarches juridiques, il y a maintenant huit ans, l'Université a toujours contesté son statut d'employeur, désirant voir jouer ce rôle par les professeurs-chercheurs. Un commisaire du travail, le tribunal du travail ainsi que tout dernièrement la Cour supérieure ont tous les trois confirmé que l'Université est bel et bien l' employeur des professionnelles et professionnels de recherche.
Il serait temps que l'Université cesse cette saga juridique. Il est incroyable qu'au Québec, en 1998, un groupe d'employés salariés, désirant se syndiquer depuis déjà huit ans, ait encore à se battre devant les tribunaux. Comment une université, dont le rôle social est si important, peut-elle adopter une telle attitude? L'acharnement de l'Université Laval à vouloir nier ses responsabilités face aux professionnelles et professionnels de recherche jusque devant les plus hautes instances juridiques nous semble moralement et socialement très difficile à justifier. Nous espérons que l'Université saura enfin nous reconnaître comme membres à part entière de la communauté universitaire
DE FRANCOPHONE À FRANCIEN
"Francien ". Je croyais avoir forgé ce terme de toutes pièces il y a environ un an dans mes chroniques inforoutières, "Les Gueuleries d'un Francien ", jusqu'au jour où, il y a peu (ô ignorance !), je lus que le "francien" était... l'ancêtre de notre langue actuelle. Il s'agit du dialecte roman qui jadis, depuis l'Isle-de-France, s'est imposé aux multiples autres patois de l'ancienne Francia pour enfanter enfin ce qui allait devenir l'idiome de Lamartine.
Je ressuscite et propose ce vocable essentiellement par distinction de "francophone", que j'estime par trop pasteurisé. Et qui, stricto sensu ("phone", du grec phônê: voix), ne réfère qu'à la langue. Or la communauté française internationale, c'est plus, beaucoup plus qu'un "son familier", un lexique, une grammaire ou la maîtrise plus ou moins heureuse de ces outils. C'est en quelque sorte une Nation disséminée sur la Planète, une diaspora, qui se déploie depuis un même univers mental et, dans une certaine mesure, affectif tout autant. Le français, c'est une Histoire, une Culture, une Civilisation. Or un Français, c'est également et surtout un "Hexagonien". D'où la confusion, voire l'appropriation sinon la récupération.
Bref, "Francien " tout à la fois pour circonduire "Francophone " et pour s'af-franc-hir de "Français ". Mais Francien (et sa... Francine : son alter ego féminin et tout en anagramme) pour insuffler aussi aux locuteurs de notre langue de Roseau à Varsovie, de Rousseau à Marie Curie, d'hier à aujourd'hui une densité que j'identifie sans vergogne comme étant d'ordre ontologique. Il s'agit en dernière analyse de calligraphier le mot pour tracer la voie, de concentrer le diffracté dans l'entonnoir du porte-voix, de nommer enfin une existence pour mieux autoriser et légitimer sa mouvance. Commune, concertée. À ce titre, "Francien " (et sa scolie au plan collectif : la "Francité ") reste avant tout, sous ma plume et à mon entendement, un concept politique. Car si, comme je le crois, les [Européo-] Français sont effectivement obnubilés par l'anglicité (ou l'englissement ?) et ce jusqu'à la défendre contre eux-mêmes! , il devient désormais nécessaire, fût-il simplement de nature lexicale, de passer le témoin à une entité plus fiable...
Au commencement le verbe. Qui est également action, comme l'avait compris Goethe.