12 mars 1998 |
Commission d'orientation
a/s François Tavenas, Recteur
Cabinet du Recteur
Monsieur le Recteur,
J'aimerais par la présente répondre à l'invitation que vous avez faite au personnel de la Faculté des sciences de l'éducation lors de votre tournée de consultation sur le Rapport préliminaire de la Commission d'orientation.
Lors de cette rencontre, vous avez soulevé l'insatisfaction des membres de la Commission face à la mission de l'Université qui se limite à la formation initiale et continue des étudiantes et étudiants dans un environnement de recherche et de création de haute qualité. Vous avez exprimé le souhait que l'Université sorte des sentiers battus et se montre plus innovatrice à ce chapitre. Mon intérêt marqué, depuis plusieurs années, envers le développement de la personne et votre ouverture à des suggestions m'incitent à développer davantage la proposition que je vous ai faite lors de cette rencontre.
J'espère pouvoir convaincre, dans les quelques lignes qui suivent, les membres de la communauté universitaire et tout particulièrement ceux de la Commission d'orientation d'ajouter à la mission actuelle de l'Université Laval, la mission suivante: "L'Université Laval se donne également comme mission de créer une unité d'enseignement et de recherche ou de confier à une unité déjà existante la responsabilité d'élaborer et d'appliquer une science et un art du développement intégral de la personne et de rendre ses résultats disponibles à toutes les autres instances universitaires".
Sans entrer dans les détails, voici quelques raisons qui devraient inciter l'Université Laval à s'engager dans une voie aussi capitale tant sur le plan individuel que collectif et qui relève directement de son mandat social et de sa compétence.
J'ai noté depuis plusieurs années qu'il existe un fossé énorme entre le discours officiel de l'Université Laval sur le développement intégral de la personne et la réalité. Malgré un certain consensus dans les textes, documents, rapports et discours sur la nécessaire formation personnelle, fondamentale, intégrale, générale (beaucoup de confusion dans les termes), peu ou pas d'actions concrètes sont prises pour actualiser les nombreuses recommandations faites à ce sujet au cours des dernières années.
Je n'ai pas l'intention de relever tous les passages qui encouragent le développement intégral de la personne face à une hyperspécialisation dès le 1er cycle que d'aucuns considèrent comme réductrice. J'aimerais seulement mentionner que dans son rapport d'étape sur "La formation personnelle" déposé en avril 1997, la Commission des études note en page 6: "Les répondants croient que, dans la plupart des disciplines, la formation personnelle est un facteur important, voire déterminant, d'insertion socio-professionnelle autant que les connaissances liées à la discipline".
Je ne tiens pas à élaborer davantage sur les nombreux vux pieux à l'égard de la nécessaire transdisciplinarité dont "le bilan est bien mince" à l'Université Laval selon le Plan directeur 1992-1997 (page 37). Je suis conscient que la structure et la mentalité universitaires vont carrément à l'encontre d'une recherche et d'une formation qui exigent, de par leur nature même, la transdisciplinarité. N'est-ce pas là une raison additionnelle pour que l'Université se dote d'une mission qui encouragerait certains de ses membres à sortir du réductionnisme disciplinaire, surtout dans les sciences humaines?
Il ne fait aucun doute que la nouvelle mission proposée permettrait à l'Université de diminuer l'écart entre son discours et sa pratique. En créant une unité universitaire responsable d'intégrer dans un tout cohérent et pratique les connaissances parcellaires et dispersées sur l'être humain et son développement, l'Université affirmerait concrètement sa volonté de mettre le développement intégral de la personne et la transdisciplinarité parmi ses priorités pour les années à venir.
Une telle mission ne serait pas uniquement innovatrice et nécessaire, elle répondrait à un des plus grands défis auxquels l'humanité fait face, sa propre humanisation. Durant le XXe siècle, que l'historien Hobsbawn appelle "l'âge des extrêmes", 289 millions d'hommes se sont entretués dans des guerres et 80 millions ont été victimes de la seule idéologie communiste. Ne pourrions-nous pas mettre la raison, la science et la technologie au service du développement de la personne dans l'espoir de contribuer un tant soit peu à son humanisation qui prend un retard inquiétant sur la puissance de ses techniques?
Les progrès scientifiques et techniques n'auront de sens que s'ils sont porteurs de progrès humains. Or, à notre connaissance, des unités universitaires dont la finalité transdisciplinaire est non seulement d'élaborer mais aussi de mettre en place une science et un art du développement intégral et intégré de la personne n'existent pas présentement. Pourquoi l'Université Laval ne se montrerait pas vraiment innovatrice en créant une telle unité, qui marquerait sûrement un virage important dans l'humanisation des êtres humains et la mission universitaire?
Si les membres de la Commission d'orientation jugent l'idée intéressante et veulent en discuter davantage, je me ferai un devoir de les rencontrer à cet effet.
Veuillez agréer, Monsieur le Recteur, mes sentiments les plus sincères.
POUR LA COMPILATION ANNUELLE ET CUMULATIVE DE LA CHARGE D'ENSEIGNEMENT
La vie universitaire développe ses rythmes sur des paliers superposés qui n'évoluent pas nécessairement en harmonie. Entre les cheminements scolaires des étudiants, le développement de carrière des professeurs et les modalités de financement des universités, pour ne nommer que ceux-là, des dissonances existent. Nous voulons seulement souligner, ici, celles qui se manifestent entre la charge d'enseignement et ces deux autres réalités de la vie universitaire. Disons-le carrément: il y a des profs qui enseignent beaucoup, il y a des profs qui enseignent peu et des profs qui n'enseignent pas du tout; ces derniers se recyclent parfois dans les arcanes administratives.
Plus formellement, il existe une contradiction entre la charge d'enseignement et la carrière universitaire à cause de la logique des vases communicants qui peut s'illustrer ainsi: au-delà d'un certain seuil d'enseignement, plus cette charge est élevée, moins il y a de temps pour la recherche et la publication. Or, le cheminement de carrière universitaire repose essentiellement sur la publication et éventuellement, le rayonnement extérieur. Ainsi, toute surcharge d'enseignement limite le temps nécessaire à la contribution aux savoirs, particulièrement aux savoirs intégrés au sens de Michel Freitag (Le naufrage de l'université) qui constituent l'essence même de la mission de l'université. Cela signifie finalement, au risque d'être schématique, que ceux qui enseignent beaucoup travaillent pour ceux qui enseignent peu et au bénéfice de la carrière de ceux-ci. À la limite, une surcharge d'enseignement représente une stratégie subtile de contrôle de l'ordre de priorité de la légitimité des savoirs.
La répartition de la charge d'enseignement devrait passer par la compilation annuelle et cumulative des crédits étudiants/professeurs afin d'éviter d'enfermer certains collègues dans un profil exclusif d'enseignant et de permettre, ainsi, une plus juste distribution de la charge d'enseignement entre les collègues d'une même unité.
Il existe une deuxième contradiction entre la logique de financement des universités, basée sur les crédits étudiants, et la logique de promotion des professeurs. Il est assez surprenant de constater que plus la charge d'enseignement du professeur est élevée, plus il contribue au financement de l'institution et moins il peut investir à l'avancement de sa carrière. Ces propos peuvent choquer à la lumière de l'éthique de la "vocation" universitaire, mais ils sont congruents à la logique rationnelle des personnes impliquées. Non seulement cette situation se répercute à l'intérieur de chaque unité, mais également entre les diverses unités et surtout entre les facultés. Il est clair que des contraintes pédagogiques spécifiques expliquent parfois les différences majeures des ratio étudiants/professeurs, mais non pas d'une façon générale. En tout état de cause et dans le contexte de l'examen de l'imputabilité des universités, il ne serait pas inutile de connaître ces ratios, ce qui inviterait à réfléchir aux ajustements nécessaires au financement des universités qui tiendraient compte de ces contradictions structurelles.
RÉACTION D'UN MÂLE À L'ARTICLE "MÂLES EN FUITE"
C'est avec un grand intérêt que j'ai lu l'article sur les travaux de la psychologue Lyne Turgeon dans le journal Au fil des événements du 29 janvier. Mais, mes poils se sont hérissés en lisant ses hypothèses de recherche, hypothèses qui m'apparaissent plus comme l'expression de préjugés féministes que comme l'expression d'une approche scientifique cherchant à comprendre la dure réalité des couples. Il est à se demander si la psychologue n'amène pas sur la scène publique (scientifique) un débat personnel qu'elle a de fortes chances de perdre étant donnés ses attitudes sexistes. C'est pourquoi j'ai décidé de réagir.
Plusieurs des conclusions auxquelles la psychologue Turgeon arrive ont déjà été confirmés à plusieurs reprises par le passé:
Il est vrai que, en général, l'homme déguerpit lorsque sa partenaire le critique. Il est vrai qu'il se crée alors un cercle vicieux poursuite-retrait. Mais, ce que Mme Turgeon ne semble pas savoir c'est que ce cercle vicieux apparaît aussi dans les fusions passionnelles, ce qu'on appelle le paradoxe de la passion: lorsque le désir de l'un est satisfait, cette personne se retire, accentuant ainsi le désir de l'autre qui continue de poursuivre l'un pour satisfaire son désir.
Il est vrai que l'escalade infernale qui s'ensuit devient un excellent indice prédicteur de divorce. Mais, la psychologue devrait aussi savoir que l'approche sans coupable et sans perdant est une garantie d'harmonie conjugale. Il est vrai que le principal reproche que les femmes font aux hommes est qu'ils ne communiquent pas suffisamment et surtout qu'ils ne communiquent pas leurs émotions. C'est l'une des principales conclusions auxquelles j'arrive après vingt ans de thérapie conjugale en pratique privée. La psychologue Lyne Trugeon a aussi raison lorsqu'elle souligne que ce reproche est non fondé et que les hommes parlent tout autant et expriment tout autant leurs émotions que les femmes. Le problème, c'est que les hommes s'expriment davantage en public qu'en privé et qu'ils expriment davantage leurs émotions positives plutôt que leurs émotions négatives. De plus, ils utilisent le langage pour transmettre de l'information plutôt que pour être en relation. Tout le contraire des femmes, quoi!
Mais, il est vrai que, dans l'intimité conjugale, l'homme a tendance à moins verbaliser et à "protéger" sa partenaire en ne lui révélant pas le fonds de sa pensée ou de ses sentiments. Devrait-il aller à l'encontre de sa nature propre pour satisfaire sa partenaire, ou sa partenaire devrait-elle respecter cette nature mâle?
Il est vrai aussi, comme l'a si bien décrit Daniel Goleman dans L'intelligence émotionnelle, que la "sensibilité" de l'homme face aux conflits émotionnels provoquent chez lui de forts malaises physiologiques et que la fuite constitue pour lui une solution (la contre-attaque constitue aussi pour lui une solution, mais elle est souvent à l'origine de la violence physique conjugale). À cause de sa plus grande labilité émotionnelle, la femme accorde moins d'importance aux conflits émotionnels et peut aussi mieux les gérer, parce qu'elle a appris, au cours de l'histoire de l'humanité, à apprivoiser ses émotions. On ne peut ici qu'assister à l'affrontement de deux natures dans une "lutte pour le pouvoir". Il est aussi vrai que les hommes, en général, retirent du mariage plus de bénéfices que les femmes (le taux de suicide des hommes célibataires est beaucoup plus élevé que celui des hommes mariés...).
Là où je ne suis plus d'accord, mais alors là, plus du tout d'accord, c'est lorsque Mme Turgeon prend partie et qu'elle accuse l'homme (encore lui) d'être le principal responsable du processus poursuite-retrait lors de conflits conjugaux: c'est celui qui se retire qui est responsable de la non-résolution du conflit et celle qui poursuit qui est dans son bon droit. "J'essaie d'être impartiale et objective mais, en tant que femme, je suis toujours plus sensible à la réalité de la femme dans un couple en difficulté". Très scientifique comme attitude! Ce type d'impartialité m'amènerait à retitrer l'article comme suit: "Le harcèlement émotif des femelles".
Le but derrière ces recherches n'est pas de blâmer les hommes, insiste-t-elle. Mais pourtant, elle rajoute dans le même élan: "Les deux membres du couple ont des habilités à développer pour apprendre à mieux communiquer ensemble ... mais surtout les hommes ". Quel paradoxe! Mais très féminin comme attitude: "Je ne te blâme pas, mais si tu étais plus tendre, si tu parlais plus souvent, si tu exprimais tes émotions, si tu lâchais ton maudit journal (ordinateur, sport) ... ça irait mieux dans notre couple". En un mot, si tu étais comme je veux que tu sois, tout irait bien dans notre couple. Et Mme Turgeon à le culot d'émettre l'hypothèse que c'est l'homme qui a le pouvoir dans le couple. Laissez-moi rire!
Qu'il y ait une lutte pour le pouvoir dans tout couple, c'est une évidence. Cette lutte pour le pouvoir prend d'ailleurs de plus en plus de place au fur et à mesure que la phase de la passion ... passe. Que l'homme soit toujours celui qui détienne le pouvoir dans un couple, ça c'est une autre question. Si je me fie aux résultats de la recherche de Mme Turgeon, la réalité est probablement que ce pouvoir est aussi souvent détenu par les femmes que par les hommes. Chercher un coupable dans les conflits conjugaux ne fait qu'envenimer la situation et ne règle absolument rien. On pourrait se demander pourquoi Mme Turgeon refuse la conclusion de ses propres recherches? Il y a là matière à réflexion et à interprétation.
Les problèmes de communication dans le couple doivent être perçus comme si l'homme et la femme ne parlent pas le même langage, même si les deux utilisent la même langue: aimer ne se conjugue pas de la même façon au féminin et au masculin; une émotion ne recouvre pas la même réalité si l'on est homme ou si l'on est femme. Si l'homme se retire si souvent dans sa caverne, c'est qu'il ne se sent pas reçu, compris et respecté; si la femme critique tant, c'est qu'elle ne se sent pas reçue, comprise et respectée.
Nous sommes égaux dans cette difficulté de comprendre l'autre et coresponsables de nos problèmes de communication. Si les hommes ne s'engagent pas à fond dans leurs relations amoureuses, c'est peut-être que les femmes sont trop envahissantes (complexe de la mante religieuse). La fuite du mâle cessera peut-être le jour ou la femelle cessera de le poursuivre. Les deux éviteront le cercle vicieux poursuite -retrait lorsque les deux comprendront les différences de nature entre l'homme et la femme, les accepteront et apprendront à mieux les gérer et cesseront d'accuser l'autre d'être le responsable du conflit.