22 janvier 1998 |
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Il s'agit parfois que le hasard frôle une personne de son aile pour changer à jamais le cours de sa vie. Sylvie Bérubé le sait bien aujourd'hui. Tout comme les 341 femmes infertiles qui ont participé à son étude de doctorat en épidémiologie. Surtout celles qui sont devenues mères à la suite d'un coup de dé.
Toutes ces femmes tentaient d'enfanter depuis des années, en vain, à cause de problèmes d'endométriose (prolifération de tissus dans l'utérus et les trompes). Lueur d'espoir cependant, une intervention chirurgicale pouvait, semble-t-il, conjurer le mauvais sort. Mais cette chirurgie ne faisait pas l'unanimité dans la profession médicale et, selon l'opinion personnelle du médecin chez qui le hasard les avait conduites, les femmes infertiles étaient ou non opérées.
L'étude de Sylvie Bérubé a tiré la question au clair. Mais, méthodologie scientifique oblige, les participantes se sont retrouvées, à la suite d'un tirage au sort, soit dans le groupe des femmes qui subissaient l'ablation de l'endométriose par chirurgie, soit dans le groupe témoin. Résultats: l'intervention augmente de 72 % les chances d'avoir un enfant.
Le New England Journal of Medicine a jugé l'étude suffisamment solide et importante pour publier, en juillet dernier, l'article que Sylvie Bérubé et les professeurs Sylvie Marcoux et Rodolphe Maheux avaient rédigé à partir de ces résultats. Même si certains chercheurs rêvent toute leur vie durant de publier dans la prestigieuse revue américaine, l'étudiante-chercheure, elle, n'en fait pas de cas. "Je me suis tout simplement trouvée au bon endroit au bon moment, dit-elle modestement. La problématique de l'étude avait été pensée par les autres membres de l'équipe et je n'ai fait que poursuivre le travail. Pour ce qui est de publier dans le New England ou ailleurs, c'est secondaire pour moi. Ce qui compte, c'est l'impression d'avoir apporté mon humble contribution à la recherche de la vérité et l'espoir que ces résultats vont pouvoir être utiles aux femmes infertiles."
Le chemin qui a conduit Sylvie Bérubé d'une technique en administration au doctorat en épidémiologie est lui-même jalonné de hasards. Au début des années 1980, profitant du déménagement de sa petite famille à Québec, elle réalise un vieux rêve: faire un bac. Diplômée en nutrition en 1987, elle obtient un poste de remplaçante dans un hôpital mais l'expérience est difficile et la fait remettre en question son choix de carrière. Une fois le contrat terminé, elle entreprend, sans trop de convictions, une maîtrise en nutrition. Un simple problème méthodologique l'amène un jour à frapper à la porte de Sylvie Marcoux, une médecin spécialisée en épidémiologie. Les discussions qu'elle a alors avec la professeure provoquent un déclic. "J'ai senti que l'épidémiologie était ma voie." Elle change aussitôt de programme et complète, coup sur coup, une maîtrise et un doctorat en épidémiologie. "Depuis que je travaille en épidémiologie, je ne me pose plus la question: ¨Suis-je bien?¨ J'ai trouvé ma place." Elle n'aspire d'ailleurs qu'à continuer. "J'ai mis une croix sur la possibilité de devenir professeure mais il y a de la place pour des chercheurs associés au sein d'une équipe de recherche" (c'est d'ailleurs ce qu'elle fait présentement au sein du Groupe de recherche en épidémiologie).
Aujourd'hui au mitan de sa vie, Sylvie Bérubé constate que le hasard a souvent tenu le gouvernail de sa destinée. "Ma fille de 16 ans commence à se demander ce qu'elle veut faire dans la vie. Ça m'a pris tellement de temps à le savoir moi-même que tout ce que je peux lui dire, c'est de ne pas trop s'en faire avec ça. Parfois, on cherche trop alors qu'il suffirait d'essayer des choses et de rester aux aguets. Une porte en ouvre parfois plein d'autres."