22 janvier 1998 |
Il y a 100 ans, un coup d'éclat doublé d'un coup d'État intellectuel: avec J'accuse, Émile Zola secoue la France entière.
S'il est un écrivain qui fait beaucoup jaser ces jours-ci, c'est bien Émile Zola. En fait, l'auteur de Germinal doit se retourner dans sa tombe, tant son nom circule à la télévision et dans les journaux. Il y a un siècle, Zola fit beaucoup parler de lui également, à la seule différence que son nom était loin d'être porté aux nues comme il l'est aujourd'hui. Le 13 janvier 1898, l'auteur des Rougon-Macquart publiait en effet son célèbre pamphlet à la une du journal L'Aurore, sous la forme d'une Lettre au Président de la République (Félix Faure).
Dans cet article intitulé J'accuse, Émile Zola dénonce l'arrestation arbitraire du capitaine Alfred Dreyfus, Juif et Alsacien, injustement accusé d'espionnage au profit de l'Allemagne et envoyé au bagne après un procès truqué, dirigé par l'armée française et l'élite politique de l'époque. Condamné à un an de prison et à trois mille francs d'amende pour diffamation par la cour d'assises de Paris, Zola sera contraint de s'exiler en Angleterre durant un an. Le capitaineDreyfus, lui, subira un second procès puis sera finalement réhabilité par le gouvernement et réintégré dans l'armée, après qu'on eut découvert le véritable coupable de l'affaire, le commandant Esterhazy. Dreyfus fut même décoré de la Légion d'honneur, en 1906.
"Le J'Accuse de Zola constitue probablement l'éditorial ayant eu le plus d'effet dans toute l'histoire du journalisme, indique Max Nemni, professeur au Département de science politique. En fait, la prise de position très claire de Zola en faveur de Dreyfus a divisé la France en deux clans. Les gens étaient pour ou contre, et le fait que la preuve ait été apportée que Dreyfus était innocent n'y changeait rien. Les antidreyfusards affirmaient que la France ne méritait pas d'être divisée à cause d'un Juif, et encore moins qu'on mette l'honneur de l'armée en jeu pour un homme d'aussi peu d'envergure."
La droite et la gauche
Selon Christine Piette, professeure au Département d'histoire, l'Affaire
Dreyfus a eu un impact énorme sur la politique française,
en plus de révéler au grand jour l'antisémitisme latent
en France. "Chose certaine, le geste posé par Zola est l'un
des premiers gestes marquant l'implication des intellectuels dans la vie
politique, estime-t-elle. Bien sûr, d'autres intellectuels l'avaient
fait avant lui, Victor Hugo notamment, mais jamais de façon aussi
éclatante. Car n'oublions pas que Zola a été le premier
à utiliser les médias de masse."
Pour la petite histoire, rappelons que le camp des dreyfusards comptait en ses rangs les intellectuels, les socialistes, les radicaux et les républicains modérés antimilitaristes, tous réunis dans la Ligue des droits de l'homme. De son côté, le camp des antidreyfusards rassemblait la droite nationaliste cléricale et les antisémites, regroupés dans la Ligue de la patrie française. Pour cette raison, certains spécialistes de la question voient dans cette affaire la naissance de la polarisation entre la droite et la gauche, en France D'autres y voient la naissance de l'extrême droite moderne, chapeautée aujourd'hui par le slogan "La France aux Français"
Pour Marthe Pagé, adjointe au vice-recteur aux affaires académiques et étudiantes maintenant à la retraite qui enseigna la littérature d'Émile Zola dans les années 1970, il était tout à fait prévisible qu'un écrivain de la trempe de Zola ne reste pas insensible face à l'injustice criante dont était victime un de ses semblables. Dans cette affaire, croit Marthe Pagé, le prolifique auteur a été égal à lui-même, prenant parti pour l'opprimé et l'innocent, comme il l'a fait dans ses romans. En fait, son oeuvre et sa vie n'ont plus fait qu'un, au moment où il a décidé de prendre la plume pour crier à toute la France qu'elle se trompait.