22 janvier 1998 |
Profil
Olivier Clain reçoit le Prix d'excellence en enseignement de la Faculté des sciences sociales. Portrait d'un prof à la curiosité contagieuse.
"Enseigner à l'université, c'est avant tout apprendre." Une bonne partie de la passion qui anime Olivier Clain lorsqu'il se retrouve devant un auditoire, qu'il s'agisse d'étudiants du premier cycle ou de ses pairs lors d'un séminaire, s'explique par cette petite phrase prononcée doucement, en début d'entrevue. En peu de mots, elle raconte la curiosité insatiable de ce professeur de sociologie pour toute réflexion lui permettant de mieux comprendre le monde, et son amour inconditionnel de la culture générale. Un amour que ce pédagogue reconnu souhaite avant tout partager avec ses étudiants.
Sociologie de la science, méthodologie, structuralisme, mouvement ouvrier et syndicalisme, rares sont les enseignants au Département de sociologie qui peuvent se vanter d'une feuille de route témoignant de cours aussi variés qu'Olivier Clain, devenu professeur régulier en 1989. Loin de se contenter de retransmettre les pensées de grands classiques, comme Hegel, Durkheim ou Benveniste, il aime tisser des liens entre des débats d'époques différentes dans le passé, et même les rapprocher de questionnements plus contemporains.
Voir large
Désireux de rendre accessible une gamme étendue de connaissances,
cet enseignant rigoureux a dispensé des cours dans les quatre grands
champs théoriques des sciences sociales, le fonctionnalisme, le structuralisme,
le marxisme et la sociologie compréhensive. Ce qui ne l'a pas empêché
également d'enseigner la méthodologie à des étudiants
du baccalauréat en sociologie, ou d'offrir à ses pairs et
aux postulants au doctorat un séminaire sur la psychanalyse. Ouf!
En fait cet éclectisme apparent trahit peut-être la formation initiale d'Olivier Clain. Même s'il enseigne depuis une quinzaine d'années au Département de sociologie, ce docteur en philosophie se définit avant tout comme un philosophe dans une Faculté des sciences sociales. "La théorie sociologique me provoque dans ma réflexion, explique-t-il. À la lumière des divers travaux de mes collègues, je peux penser à des problèmes philosophiques véritablement au coeur des problèmes sociaux." Il considère volontiers le philosophe comme un bâtisseur de ponts entre des disciplines, et constate d'ailleurs qu'un nombre de plus en plus important de mathématiciens, de physiciens se plongent dans l'étude de l'épistémologie, la philosophie des sciences, pour nourrir leur réflexion ou pour trouver l'inspiration.
Cette rencontre de savoirs touchant des domaines différents correspond d'ailleurs à son idéal universitaire, qui passe par un goût impénitent de la discussion. "Je cherche des penseurs, reconnait-il. Pour moi l'université se définit avant tout comme un lieu d'échange d'arguments. C'est pour cette raison que nous avons fondé la revue Société avec Michel Freitag et Gilles Gagné, deux professeurs en sociologie qui m'ont énormement apporté." Ennemi déclaré de la spécialisation à outrance, le récipiendaire du Prix d'excellence en enseignement de la Faculté des sciences socials s'inquiète d'une certaine tendance à l'éclatement des communautés de savants. À l'entendre, de moins en moins de chercheurs parviennent à conserver une vision d'ensemble de la science, qui se développe d'une façon anarchique. Pire, concentrés sur des segments très pointus de secteurs de recherche, les universitaires ne débattraient plus entre eux de leurs résultats, et ne pourraient donc plus juger de la pertinence des travaux de collègues qui travaillent sur des domaines connexes.
Éviter les chapelles
Cette course à la spécialisation a de nombreux effets sur
l'enseignement, selon Olivier Clain, car pendant de trop nombreuses années
les jurys de départements ont engagé des professeurs susceptibles
d'obtenir le plus possible de subventions de recherche, sans se préoccuper
de leur capacité à communiquer leur savoir. "Il y a plusieurs
années, nous dénoncions déjà dans Société
le fait que la recherche était en train de dévorer l'enseignement
des sciences sociales, indique-t-il. Aujourd'hui, on semble revaloriser
l'enseignement, mais est-ce-qu'on prend les bons moyens pour y parvenir?"
Car ce pédagogue reconnu ne croit pas que les cours en pédagogie ou en communication orale constituent une solution pour améliorer la transmision des connaissances aux étudiants, peut-être tout simplement parce qu'il émet des doutes sur la pertinence des sciences de l'enseignement. Pour Olivier Clain, en se concentrant sur l'apprentissage de procédures formelles concernant par exemple les plans de cours, on risque de passer à côté de l'essentiel, la maîtrise et la passion de sa propre discipline. Il vaudrait donc mieux, selon lui, privilégier l'embauche de professeurs dotés d'une solide culture générale, curieux, capables avant tout de se poser des questions.
Interrogations fondamentales
"Ce qui compte, avant tout, c'est d'arriver en classe avec nos interrogations
fondamentales sur la discipline, remarque Olivier Clain. Souvent, lors des
premiers cours, j'indique à mes étudiants que je vais leur
tenir un discours identique à celui que je pourrais tenir devant
mes pairs. Simplement, je prends le temps le temps d'expliciter certains
mots nouveaux." Prenant modèle sur les grands professeurs d'autrefois,
cet enseignant passionné aime donner son cours de vive voix, sans
se référer constamment à ses notes, en ne craignant
pas de reconnaître quelquefois son ignorance d'un sujet. "Je
suis frappé par l'intérêt témoigné par
les jeunes étudiants en sciences sociales, qui, même en première
année, lisent énormément, dit-il. Peut-être,
par contre, qu'au cours de leur formation au cégep ou au secondaire,
on ne leur a pas assez donné les moyens pour formuler leurs questions."
Amant inconditionnel de sa discipline, Olivier Clain prêche donc pour un retour aux grands auteurs, Hegel, Foucault, Lacan, même si des écrits récents tentent de les discréditer. Le chercheur américain Alan Sokal remet en question, en effet, dans L'imposture intellectuelle, la pertinence de ces textes philosophiques qui auraient échoué dans leur tentative d'utiliser des théories scientifiques contemporaines pour soutenir leur argumentation. "C'est une critique superficielle, symptomatique de la difficulté du dialogue entre universitaires, s'insurge Olivier Clain. Ces oeuvres majeures font penser, il faut absolument les reconnaître même si on se sent en désaccord avec leur conception ou leur théorie."