L'arrêt des massacres qui perdurent en Algérie passe par la libre circulation de l'information et le rétablissement du processus démocratique.
Depuis plus d'un an que les massacres s'intensifient en Algérie, pas une semaine, pas un jour ne se passe sans que les médias en fassent état. Mais ce que nous savons du conflit algérien se limite aux images diffusées à la télévision: femmes en pleurs ayant vu leurs bébés égorgés sous leurs yeux, enfants abandonnés, brûlés, mutilés, hommes au regard éteint, de ceux qui n'ont plus rien à perdre, parce qu'ils ont tout perdu. Existe-t-il une lumière au bout du tunnel pour ce pays dévasté, qui n'en finit d'être secoué par des tueries infâmes, et dont on ne sait à peu près rien, sinon que le sang de milliers d'êtres parfaitement innocents y coule à flots?
"Il n'y a pas une seule cause à ce conflit mais plusieurs", commente Lise Garon, sociologue, professeur au Département d'information et communication et spécialiste de l'Afrique. "Essentiellement, on peut dire qu'après 30 ans de gestion catastrophique de développement, l'Algérie s'est retrouvée dans un cul-de-sac économique. À la fin des années 1980, on a donné des institutions démocratiques au peuple algérien, mais aucun des partis au pouvoir n'a joué le jeu, sauf le Front islamique du Salut (FIS), élu en décembre 1991 et dissolu en mars 1992. En un mot, la transition démocratique n'a pas marché et l'État a littéralement éclaté. Avec un seul parti au pouvoir, présidé par Liamine Zeroual, il n'y actuellement plus d'autorité politique en Algérie."
Selon un étudiant algérien au doctorat préférant garder l'anonymat - et que nous appellerons Mohammed pour les besoins de la cause - la crise actuelle résulte de la faillite d'un système totalitaire, mis en place par un parti unique, le FLN (Front de la libération nationale) qui a gouverné le pays de 1962 à 1988, et dont les choix économiques, sociaux et politiques n'auraient pas été adaptés à un pays comme l'Algérie, qui sortait tout juste du colonialisme. À son avis, l'arrêt du processus électoral, en 1992, marque le début de la fin pour l'Algérie. "Le FIS imposait peut-être sa façon de voir mais c'était le seul mouvement politique qui proposait une autre façon de gouverner", allègue-t-il.
Un absence de consensus
Algérien d'origine et professeur au Département de génie
chimique, Larachi Faïcal estime également que l'interruption
du processus démocratique constitue la cause de ces massacres qui
n'en finissent plus de faire des victimes. Quant à la volonté
du gouvernement d'enrayer le conflit, Larachi Faïcal laisse entendre
que "personne n'est innocent dans cette affaire": "Même
si la population fait les frais de cette guerre, la situation profite à
certaines classes de la société qui y voient là une
occasion de s'enrichir. Par exemple, le paysan habitant à côté
d'un village qui vient d'être décimé va tenter de vendre
sa terre à prix modique, motivé par la peur d'être la
prochaine cible des terroristes."
De son côté, Lise Garon croit que l'absence de consensus sur la manière d'enrayer le conflit représente un obstacle de taille pour sa résolution. Selon elle, les massacres ne cesseront pas tant qu'on n'en connaîtra pas les véritables causes. À cet effet, la présence massive d'observateurs étrangers - journalistes, membres de l'ONU et de diverses ONG (Organisations non gouvernementales) - serait éminemment souhaitable afin que l'information circule au grand jour. "Finalement, la solution réside dans une meilleure information diffusée au monde entier, fait-elle valoir. Quand cela déroule devant les caméras, faire la guerre devient assez embêtant. Pensons au conflit bosniaque où la présence constante d'observateurs étrangers a fortement contribué au déblocage du processus de paix."
Mohammed estime lui aussi que le gouvernement algérien devrait permettre la tenue d'une Commission d'enquête internationale visant à faire la lumière sur ce conflit: "Il faut à tout prix qu'on sache qui tue et qui ne tue pas. Deux thèses circulent quant aux véritables responsables: en Algérie, on croit ainsi que les tueries sont l'oeuvre de terroristes et que ces personnes devraient être exterminées, tandis que l'Occident estime que le gouvernement algérien n'est pas étranger à tous ces massacres. Chose certaine, l'Occident devait faire des pressions économiques sur le gouvernement algérien, le but ultime étant de relancer le processus démocratique dans ce pays."
Quant à la sauvagerie des crimes perpétrés, Lise Garon dira seulement qu'elle laisse aux psychologues spécialistes de la question le soin d'interpréter ce qui peut bien pousser des êtres humains à commettre des actes aussi horribles. Chose certaine, cette sauvagerie contraste de façon frappante avec le peuple algérien, réputé pour sa joie de vivre, sa solidarité et son savoir-vivre. D'où l'importance de se rappeler que ces tueries sont l'effet de groupes marginaux et qu'on ne saurait identifier un pays entier à cette barbarie hors du commun.